Je m'appelle Lucy. Je suis la femme du Diable. Enfin une des femmes puisque chacun sait bien que le diable est un obsédé sexuel.
Trêves de balivernes, faisons fi de ma vie intime, il y aurait, certes, beaucoup à dire, mais tel n'est point mon propos pour l'instant !
En observant depuis plusieurs années la situation dans votre horrible pays : je tenais à vous féliciter chaudement.
Toutes vos vieilles valeurs : rodomontades de gauche, vertus morales désuètes, comportements civiques, fraternité ringarde, solidarité stupide, sens de l'Honneur dépassé, esprit chevaleresque morbide, hospitalité imbécile, ont enfin été rayées de vos particularités qui chagrinaient tant mon horrible époux !
Désormais vous êtes dignes de figurer dans notre Grand Livre de l'Abjection, ouvrage de chevet de Satan lui-même.
Ainsi, dans notre monde inversé, vos vices d'hier deviennent nos vertus d'aujourd'hui : l'individualisme à outrance remplace t-il avec bonheur, la solidarité d'hier, la trahison apporte t-elle le summum de la notoriété et du respect, l'incompétence devient-elle une qualité rare qui mérite la promotion, le déshonneur se porte t-il comme une médaille, le mensonge et la rouerie entraînent t-ils une montée en grade, l'irresponsabilité s'arbore t-elle comme une couronne de laurier, la lâcheté et la veulerie se reçoivent t-elles comme les plus beaux diplômes, la déférence et la bassesse se muent-elle en passeport vers la réussite sociale, naître d'un père ou d'une mère talentueuse vous gratifie des mêmes dons...
Dans la vie politique, l'agressivité envers ses collègues est considéré comme une qualité, la névrose est un attribut remarquable, l'égocentrisme un gage de bonne gouvernance, le mépris est apprécié par les laudateurs, le mensonge est vanté par les observateurs, la perversité est regardée comme le comble de la subtilité dans l'art de régner, l'absence de culture est encensée, la rancune est admirée, l'autoritarisme est la marque du personnage historique, refuser de reconnaître ses erreurs est une preuve de force de caractère, la corruption conduit presque toujours à une réélection triomphale.
Pour la plus grande satisfaction du roux et poilu Lucifer, mon effroyable mari.
Que de chemin parcouru, mes amis ! Vous pouvez désormais vous regarder dans notre miroir inversé sans honte ni remords. Nos valeurs immorales sont enfin devenues vos idéaux.
Citoyens, je suis fière de vous : le Diable parle désormais français, mange français, s'habille en Jean-Paul Gaultier, cotise à ce qui reste de sécurité sociale française, exerce quelques petits boulots français, baise français, rédige en français, se shoote au beaujolais nouveau, prendra sa retraite française à 79 ans et votera Sarkozy en 2012 !
Votre admirative et dévouée,
Lucy Fair.
À après, si le Diable et cette traînée de Lucy Fair me laissent tranquille !