Hauteclaire
DEFI N° 44
LES CROQUEURS DE MOTS
Aujourd’hui, parce que le temps s’y prête, parce que je suis un peu en retard sur mon horaire, ce qui signifie que mon horaire est parti avant que j’ai pu le prendre et que je me retrouve le soir avant d’avoir pu attraper le matin, aujourd’hui donc, ce soir, je vais vous raconter comment j’ai rencontré le plus VIP des VIP.
Je venais de lire « écritures Saintes » de Jacques Prévert et j’avais décidé de rencontrer Dieu.
Prévoyante, j’avais pris soin de me munir d’un plan avant de partir à ce rendez-vous que j’avais fixé seule n’ayant pas le téléphone de mon interlocuteur.
Non pas que je sache lire un plan, ça c’est une cause désespérée, mais parce que c’est plus facile de demander sa route si par hasard, celui ou celle à qui l’on s’adresse a les capacités de reconnaître si l’adresse que vous cherchez se trouve à votre droite ou à votre gauche.
Vous allez me dire :
« Mais pourquoi ne te diriges tu pas selon les points cardinaux ? »
Ce à quoi je vous répondrais que depuis que les points cardinaux ont décidé de changer de place au fur et à mesure de mes déplacements, j’ai cessé de leur faire confiance, ils ne sont pas fiables !
Ceux qui comme moi en ont fait l’expérience sur le périphérique savent parfaitement de quoi je parle ! Mais le périphérique, c’est facile quand tu as compris l’intérieur et l’extérieur, tu peux aller d’un point à un autre sans faire le grand tour.
Seulement, au ciel, c’est différent, pas d’intérieur ni d’extérieur, rien que l’infini qui vous nargue.
Donc j’avais pris mon plan où étaient répertoriées toutes les galeries que le ciel pouvait compter et Dieu sait s’il y en a. C’est bien simple, il y en a tant qu’il est difficile d’en imaginer le nombre quand on ne s’est pas retrouvé au beau milieu !
Remarquez, le pays n’était pas mal, il m’a bien plu. C’était une sorte de nébuleuse un peu féerique, où je me sentais à l’aise bien que, ne dérogeant pas à mon habitude, j’étais un peu perdue.
C’est ma destinée, il me suffit de mettre le pied quelque part pour me retrouver nulle part, le sort se plaît à me faire prendre la mauvaise direction plutôt que la bonne, même si parfois j’inverse mon choix pour tenter de le tromper. Mais le sort, qui a don de double vue, connaît la donne et il n’est pas envisageable de gagner face à lui, c’est un fait acquis contre lequel j’ai même abandonné de râler.
Donc, dans cette nébuleuse, était-ce l’heure du repas; il n’y avait pas un chat.
Il serait plus juste de dire qu’il n’y avait un lapin, puisque c’est de lapins dont il s’agit et que j’étais en quête du « Grand Lapin Tout Puissant qui vit tout là-haut dans les cieux, dans son grand terrier nuageux… » si je m’en réfère aux dires de Prévert.
Cette idée de Lapin divin m’avait séduite et je m’étais dit qu’il me fallait vérifier par moi-même car, parmi les fables sur le sujet, cette petite dernière avait tout pour me plaire.
Vous dire combien de temps j’ai erré dans ces galeries entrecroisées sans rencontrer âme qui vive, et ce n’était plus l’heure d’un quelconque repas, je ne saurais.
Je commençais à désespérer de tout et surtout de la faculté de notre espèce à profiter du Grand Terrier Céleste, quand soudain, débouchant d’une jetée au-dessus de galeries secondaires, je me trouve, ô surprise, nez à nez avec Prévert.
Il était là, élu siégeant sans doute à la droite du Grand Lapin Tout Puissant.
De quoi vous faire réfléchir sur le code de bonne conduite des séminaristes, car selon ses dires, il y avait là nombre d’auteurs qui auraient pu faire l’objet d’un autodafé si la pratique était encore de mode.
Pour moi, c’était une aubaine, car si j’interroge les statistiques, je n’avais pas une chance sur un billion pour bénéficier d’un tel hasard, et dire que je n’avais pas joué au loto avant de partir…
Je décidais de remettre mes pleurs à plus tard.
Je demandais à Prévert de me conduire auprès du Maître des lieux à travers le dédale de galeries creusées on ne sait trop pour qui, étant donné le nombre peu élevé d’âmes en villégiature dans le grand terrier céleste dont les grands absents semblaient être justement les Lapins à col blanc.
Ravi d’avoir de la compagnie, il me raconta sa vie, et se plaignit surtout du manque de variété des menus. Il m'expliqua qu'ici les menus étaient laissés à la charge du diable, lequel s’ingéniait du mieux qu’il le pouvait à décliner le lapin en brochettes, en grillades et surtout en civet.
Il faut dire qu’il y avait pléthore de lapins aux enfers et que l'enfer était donc devenu en quelque sorte le continent Australien des nuages.
Afin de planifier l’occupation des sols et réguler la population, il s’était rapidement retrouvé à la tête de la plus grande fabrique de civet de l’univers.
Nous avançâmes, descendîmes, montâmes, passâmes des ponts et nous approchâmes enfin du but. Je commençais à ressentir un peu d’appréhension. Comment allait-il me recevoir, ce Grand personnage que tout le monde salue avec respect sans jamais oser le regarder dans les yeux ?
Je percevais ce trouble que j’avais une fois ressenti avant de frapper à la porte de Jacques Lacarrière, impressionnant érudit qui avait accepté de me recevoir.
Mais là, je n’avais même pas de rendez-vous. Je me pointais comme ça, sans invitation, juste pour voir s’il existait et à quoi il ressemblait et je n’avais rien préparé à lui dire. Je pris soudain conscience que je n’avais pas cru une seconde à la réussite de ma démarche.
Suivant Prévert de près dans des galeries étroites où il était impossible de marcher à deux de front, je commençais à me demander ce que je faisais là et s’il ne serait pas plus sage de rebrousser chemin en catimini.
J’abandonnais cette idée timorée, seule dans ce dédale, je ne pouvais manquer de me perdre. Errer sans fin dans cette nébuleuse habitée par le silence, manger du lapin tous les jours que le Grand lapin fait, n’était pas à mon programme.
Nous débouchâmes enfin dans une sorte de clairière marquée d'une pancarte où il était écrit :
« Soyez les bienvenus, restez couverts. »
Prévert m’expliqua que c’était une affaire que le Tout Puissant avait avec le diable, -ce qu’il explique très bien dans son livre « Paroles » et que je vais donc pas développer ici.-
Arrivée devant la porte des appartements divins, le cœur battant, je lève le doigt pour frapper quand soudain un regard s’ouvre, une jolie lumière apparaît, j’ai juste le temps de penser :
« Tiens ! ils sont équipés de capteurs électroniques »
qu’une voix angélique pré enregistrée, nous dit :
« Le Tout Puissant ne peut vous recevoir et s’en excuse. Il est parti en séminaire à Cuba pour dégustation de langouste en compagnie du Che, afin de réfléchir à d’éventuelles possibilités d’échanges intergalactiques pour trouver une solution à la crise du civet. »
©Adamante