Hier était une soirée étrange.
Tôt levé pour attraper un des premiers TGV pour Paris, j'ai passé la journée dans le semi-coton d'une nuit si brêve (biberons à minuit et trois heures trente, lever à cinq heures, un rapide café, une demi-heure de route avec mon beau-père pour rejoindre la gare). Le trajet du retour en métro, rer, ne laisse que le souvenir du raclement métallique de suspensions défaillantes.
Dehors, il fait froid, le vent souffle par saccades. La nuit s'effondre déjà sur la ville, lumières en exorcismes.
J'arrive alors dans un appartement froid et subitement redevenu immense. Tout y est propre et rangé : la femme de ménage a fait son office pendant le week-end. Jusqu'au tapis d'éveil qui repose, droit contre la bibliothèque trop garnie.
Le chat ne s'éloigne pas de plus de dix centimètres de chacun de mes pieds, alternativement, au risque de la chute. Je lui marcherai sur la patte , sans chaussures heureusement, plus tard dans la soirée.
Depuis combien de temps n'ai-je pas été seul ici ? Mi-août, juste avant l'hospitalisation de Elle ? L'air, la lumière, les sons me semblent bizarres. L'air : froid, sans odeur, parfaitement neutre. La lumière : il fait sombre depuis que le rhéostat du lampadaire a rendu l'âme. Les sons : aucun bruit hormis les habituels parasites - le démarrage du Mac Mini et du disque dur annexe, un frigo qui vibre, le discret chuintement de la VMC.
Sur la commode, l'orchidée a encore perdu une fleur ; il ne reste que deux boutons, qui n'écloront probablement pas. Les bambous ont les feuilles jaunies à l'extrêmité, malgré la présence d'eau dans le vase transparent. Penser à mettre quelques gouttes d'engrais.
Dans la cuisine, le frigo regorge de victuailles. Je ferai ce soir un bar et un poulet. Le poulet, pour demain. Le chat crie famine et solitude, solitude surtout : même sa coupelle pleine, il préfère rester avec moi.
Je m'assoie dans le canapé écru, un verre à la main.
Je suis seul et je ne reconnais pas "chez nous" comme il fut "chez moi".