C’est une oeuvre que je n’aurais pas choisie d’aller voir s’il ne s’était agi des Marionnettes de Salzbourg. Mais une fois encore, l’occasion a fait le larron… Et je ne pouvais pas imaginer que cette troupe si extraordinaire puisse faire autre chose que du très bon spectacle. Bien sûr, je n’ai pas été déçue. J’ai même passé un moment inouï en compagnie de la Mélodie du bonheur, titre un peu ringard d’un livret qui ne l’est pas moins. L’histoire est simple : un homme a sept enfants, qu’il élève de façon militaire. Arrive une jeune gouvernante, en congé d’un couvent voisin. Elle apprend aussitôt la musique à ses sept petits élèves, séduit leur père, évince une rivale potentielle et finit par sauver toute la famille du nazisme. Ouf.
Tout le monde connaît les airs de la Mélodie du bonheur, à commencer par Edelweiss (mais si, mais si : ééééédelvaïss, éééédelvaïssss… ça ne vous dit rien ?). Il y a aussi la fameuse gamme, qui donne en français :
do, le do il a bon dos ;
ré, ré-yon de soleil d’or ;
mi, c’est la moitié d’un tout ;
fa, c’est facile à chanter
sol, c’est là où vous marchez
la, c’est là où vous allez
si, c’est une condition
et puis vous revenez à dooooo !
Ca ne vous dit toujours rien ? Franchement, vous n’avez pas été élevé dans la bonne école, ou vous n’avez pas fait anglais seconde langue au lycée. (oui, parce qu’à l’origine, c’est la gamme en anglais).
Bref, tout ceci pour vous dire que le livret de départ est bien ringard, que les chansons ne le sont pas moins, le tout signé par deux Américains, Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II. Le génie de la troupe des marionnetistes de Salzbourg a été de parsemer le spectacle de ces traits d’humour qui n’appartiennent qu’à eux et de quelques prouesses animées : un directeur de music hall qui fait la folle sur un tabouret, un oiseau qui se pose doucement sur une main.
Mais cette fois, il y avait un petit “plus”. L’histoire se passe au moment de l’Anschluss, période terrible pour les Autrichiens qui ne voulaient pas du rattachement à l’Allemagne nazie. C’est le cas du capitaine von Trapp, le héros. On voit donc apparaître, dans le fond de la scène, un décors d’armée nazie fait de soldats kaki avec des têtes de doberman. La pression augmente sur le malheureux. Le drapeau autrichien, qui flotte sur son château de carton-pâte et qui est le symbole de l’attachement des Autrichiens à leur pays indépendant, est brutalement renversé au profit d’une immense toile de fond rouge à croix gammée, dans un choc à glacer le sang. Incroyable… Et tout aussi incroyable ce petit faon bleu, autre symbole de l’Autriche, que l’on a vu gambader de temps à autre, que l’on revoit au moment où l’on pense que c’est la fin heureuse, quand la jeune fille et le gentil père de famille se marient. Un coup de feu. Il est mort. Alors apparait sur scène un homme (un vrai, grandeur nature) avec un uniforme nazi et une moustache… muni d’un balai. Il traverse la scène et balaie le pauvre faon. On ne peut qu’avoir conscience de combien l’Anschluss a été un drame pour les Autrichiens. Salzbourg est en Autriche, comme vous le savez.
Le rideau est tombé, sous un tonnerre d’applaudissements. Un par un, les personnages de bois sont revenus saluer lorsqu’un petit rideau, dans le haut, s’est ouvert. On les a vus alors à l’oeuvre, tous les marionnettistes. Ils étaient presque une dizaine, collés les uns aux autres, agitant les bâtonnets dont descendaient ces fils luisants qui donnaient vie aux acteurs de bois. Une magie stupéfiante des doigts et des poignets, une dextérité incroyable. Jamais rien ne se mêlait, tout était si parfaitement rythmé qu’on en venait à oublier la troupe de chair qui était le démiurge de ce monde fictif.
Si la magie vous séduit encore, ou si vous avez encore un peu d’enfance en vous alors n’hésitez pas, ne rechignez pas devant cette oeuvre exhumée des années 1960 et courrez au théâtre Dejazet. Vous m’en direz des nouvelles !