J’écrivais beaucoup, il n’y a pas si longtemps, mais j’écrivais faux. J’ai découvert tout cela, par une belle matinée de juillet, quand j’ai enfin conçu qu’il fallait toute une vie à l’Homme, pour assumer sa schizophrénie, sa tare originelle qui l’embellit et le diffère des autres créatures vivantes. Une vie est un parcours, plus il en passe, plus cela devient réalisable, facile, voire évident, et malgré la fatigue, la douleur, le doute…On y croit. On tient bon et on continue notre chemin. De toute façon, nous sommes obligés de le faire, ce chemin, d’une façon ou d’une autre, et l’illusion du choix nous fait oublier cette obligation, quand nous n’assumons pas un vrai choix. C’est là où la doublure, qui nous habite, se montre décisive. Se mentir à soi, ou se dire les quatre vérités en face…C’est une question que choix. C’est une question de volonté…
La schizophrénie de l’être humain n’est pas un fardeau, c’est même une force. Quand elle est bénigne, elle est même une force secrète. Elle le fait vivre tant bien que mal, ce qu’il ne peut pas supporter s’il n’avait pas un autre bout de lui-même, dans lequel se réfugier, ou lequel montrer aux autres pour se cacher ou se défendre. Elle se conjugue à son équilibre, car c’est lui qui la souligne, qui la farde comme un maquillage relève quelque beauté d’un visage ridé. L’équilibre est essentiel, mais la schizophrénie est cruciale. La schizophrénie, la nôtre à tous, celle dont je parle, n’est ni un mythe, ni un sens figuré. Elle est notre exutoire dans l’expression de notre vie, telle que nous la menons et telle que nous la rêvons. Et les deux ne sont pas, forcément, des angles de vue pareils, s’ils se croisent, parfois…
Le tueur que je suis, n’a jamais rêvé d’être un assassin. Il l’a été. Par la force des choses, pour la force des choses. Peut-être même que c’est le monde entier qui a conspiré en cette faveur, mais lui il ne l’a jamais souhaité. Il a été. J’ai rêvé d’autre chose. J’ai toujours voulu être poète…
Aujourd’hui, je tue pour vivre, et j’écris mes vers et ma prose, quand j’ai fini de vivre. Je les tue, eux, et me tue, du même coup, un peu plus, chaque jour, ensuite je vis en les faisant vivre aussi, dans mon autre vie, dans mon autre bout de moi : mes récits. J’écris mes mémoires tout en essayant de lire la leur dans le dernier regard qu’ils m’ont adressé, ou dans leur grimace que je fige, tel un photographe à tout jamais, par ma main qui leur apporte la mort. Cette même main qui tresse des rimes et dessine le sillon sur la page.
Quand j’ai entrepris d’écrire ce récit, c’était ma vie de criminel que je voulais raconter, mais je me suis surpris à vivre mon autre vie, telle que je l’ai toujours rêvée, et telle qu’elle a fini par s’imposer à moi, comme l’évidence d’une goutte de soleil à la fin de l’orage.
Je suis un homme heureux, à présent, car j’ai compris mon prisme et réussi à faire de mon existence réelle, une germe pour celle que je vais vivre, avec vous, après l’avoir rêvée tout seul. Je la vivrai tout en continuant à la rêver, tout en l’écrivant et en souillant cette main de l’ancre de ma plume, cette même main qui porte la trace d’un sang indélébile…Je me vous la raconterai, comme un testament, le dernier souhait que je fais avant de me taire, à tous jamais. Car il ne me siéra plus de parler après vous avoir dit ce que j’ai à vous dire. Car je suis déjà mort…
Je suis mort, il y a de cela quelques années. On ne fait pas le métier que je fais, sans mourir, sans signer son épitaphe le jour même où on consent à tuer un homme pour vivre. La mort est comme l’amour, quand on la donne, on la reçoit forcément, un jour ou l’autre. Ce n’est qu’une question de temps. Je suis, donc, mort mais j’attends que quelqu’un le décide à ma place et dans cette attente, j’ai décidé de vivre, autrement, dans cette dimension qui me protège, qui me libère. Je fais la paix, enfin avec tous les fantômes qui hantent les avens de ma mémoire, en ce sein fait de paroles que je n’ai jamais, à peine osé chuchoter, mais que je crie, à présent. Je vis, par le flux et le reflux de mes souvenirs, cette passion dont j’aurais aimé faire ma vie réelle, mais on ne m’a pas laissé faire.
Ils ont volé ma vie. Ils ont violé le candide de mon cœur. Ils m’ont pris en otage. Ils n’ont eu, finalement, que ce qu’ils ont cherché à avoir…Ils ont, toujours, prétendu me dominer, ayant cru m’avoir réduit à être leur esclave, pour la vie. Mais durant tout le temps qu’il a fallu à ma colère pour murir, j’ai appris à lutter contre ma faiblesse, et de cet apprentissage, j’ai fait la force qui m’a fait surgir un jour, devant eux, devant beaucoup d’entre eux, comme un soleil de juillet, évident et brulant…Sauf qu’eux, ils ne m’ont pas vu venir. Personne, d’ailleurs, ne m’a jamais vu venir, ni personne ne le pourra, un jour. Je leur tombe dessus, comme une sentence divine, invariable, intraitable, inéluctable, inévitable…Je surgis de nulle part, même s’ils me regardent, ils ne me voient pas venir. Ils n’ont jamais eu que le temps d’hoqueter, ou de lancer une onomatopée qui était leur dernière signature sur ce monde. Rien de plus ni de moins. Un hoquet ou un début de mot et puis ils se taisent, à tout jamais !
J’avais horreur de la torture, je faisais vite, et net. Pourtant, j’en ai torturé quelques uns, ceux qui n’étaient pas de simples contrats, ceux qui étaient ma propre vengeance de tous les tyrans de ce monde, maintenant que j’étais l’ange de la mort, personnifié par la main humaine. J’ai tué, mais j’ai aussi fait vivre par cette même mort que j’apportais. J’ai tué avec art et passion, parfois je tuais pour le plaisir de le faire, mais je n’ai jamais tué un innocent, car dans mon cœur vivait un enfant. Car dans mon cœur gisait un poète qui me murmurait les syllabes de ces vers que j’ai toujours écrits dans ma pensée et que je brode sur le candide la robe de cette page.
Le tueur est un poète….