De l’Election de son sepulcre

Publié le 15 décembre 2010 par Lauravanelcoytte

de Ronsard (1524–†1585)

 

ANTRES, et vous fontaines

  De ces roches hautaines

  Qui tombez contre-bas

  D’un glissant pas:

Et vous forests et ondes  5

  Par ces prez vagabondes,

  Et vous rives et bois,

  Oyez ma voix.

Quand le ciel et mon heure

  Jugeront que je meure,  10

  Ravy du beau sejour

  Du commun jour,

Je defens qu’on ne rompe

  Le marbre pour la pompe

  De vouloir mon tombeau  15

  Bastir plus beau:

Mais bien je veux qu’un arbre

  M’ombrage en lieu d’un marbre,

  Arbre qui soit couvert

  Tousjours de vert.  20

De moy puisse la terre

  Engendrer un lierre,

  M’embrassant en maint tour

  Tout à l’entour:

Et la vigne tortisse  25

  Mon sepulcre embellisse,

  Faisant de toutes pars

  Un ombre espars.

Là viendront chaque année

  A ma feste ordonnée  30

  Avecques leurs troupeaux

  Les pastoureaux:

Puis ayant fait l’office

  De leur beau sacrifice,

  Parlans à l’isle ainsi  35

  Diront ceci:

Que tu es renommée

  D’estre tombeau nommée

  D’un, de qui l’univers

  Chante les vers!  40

Et qui onq en sa vie

  Ne fut bruslé d’envie,

  Mendiant les honneurs

  Des grands Seigneurs!

Ny ne r’apprist l’usage  45

  De l’amoureux breuvage

  Ny l’art des anciens

  Magiciens!

Mais bien à noz campagnes

  Fist voir les Sœurs campagnes  50

  Foulantes l’herbe aux sons

  De ses chansons.

Car il fist à sa lyre

  Si bons accords eslire

  Qu’il orna de ses chants  55

  Nous et noz champs.

La douce manne tombe

  A jamais sur sa tumbe,

  Et l’humeur que produit

  En May la nuit.  60

Tout à l’entour l’emmure

  L’herbe et l’eau qui murmure,

  L’un tousjours verdoyant,

  L’autre ondoyant.

Et nous ayans memoire  65

  Du renom de sa gloire

  Luy ferons comme à Pan

  Honneur chaque an.

Ainsi dira la troupe,

  Versant de mainte coupe  70

  Le sang d’un agnelet

  Avec du laict

Desur moy, qui à l’heure

  Seray par la demeure

  Où les heureux espris  75

  Ont leur pourpris.

La gresle ne la neige

  N’ont tels lieux pour leur siège,

  Ne la foudre oncque là

  Ne devala:  80

Mais bien constante y dure

  L’immortelle verdure,

  Et constant en tout temps

  Le beau Printemps.

Le soin qui sollicite  85

  Les Rois, ne les incite

  Le monde ruiner

  Pour dominer:

Ains comme freres vivent,

  Et morts encore suivent  90

  Les mestiers qu’ils avoient

  Quand ils vivoient.

Là là j’oiray d’Alcée

  La lyre courroucée,

  ET Sapphon qui sur tous  95

  Sonne plus dous.

Combien ceux qui entendent

  Les chansons qu’ils respandent

  Se doivent resjouir

  De les ouir!  100

Quand la peine receuë

  Du rocher est deceuë,

  Et quand le vieil Tantal

  N’endure mal!

La seule lyre douce  105

  L’ennuy des cœurs repousse.

  Et va l’esprit flatant

  De l’escoutant.