Elle rêve, Marie, elle rêve

Publié le 16 décembre 2010 par Sophiel

Marie est une jeune fille - pas tout à fait une femme - de 20 ans. Elle les a fêtés la veille en compagnie de ses parents et de ses deux sœurs. Son père a longuement regardé son aînée souffler les bougies dont la cire dégoulinait sur le gâteau marbré. Leurs regards se sont croisés, il lui a souri franchement avec dans les yeux cette fierté propre aux pères envers leurs filles. Elle les a baissés, intimidée par cette déclaration, submergée par l’émotion. Elle aurait voulu se serrer dans ses bras, lui murmurer qu’elle aussi l’aimait.

Seulement, dans la famille de Marie, la bienséance l’emporte sur les débordements, quels qu’ils soient. Lorsqu’on pénètre chez eux, l’atmosphère lisse et feutrée de l’appartement produit un effet apaisant immédiat sur l’étranger en visite. Tout y est parfaitement à sa place, tant les objets que les occupants de ce six pièces citadin. Sa mère, accueillante, d’une sobre élégance, veille à ce que chacun ne manque de rien, tout en contrôlant, d’un froncement de sourcil, le moindre excès inopportun.

Les camarades de Marie ont toujours aimé se réfugier dans cette ambiance réconfortante, fuyant un foyer électrique pour l’une, un vide trop encombrant pour l’autre. Longtemps elle en a retiré un certain orgueil, heureuse que l’harmonie familiale puisse susciter admiration et envie.

Et puis, en grandissant, elle fut autorisée à passer quelques soirées chez ses amies, découvrant alors un univers où les portes claquent, où les paroles volent haut, et où les embrassades succèdent aux gifles. Décontenancée au début par cette avalanche d’énergie, c’est avec soulagement qu’elle regagnait la tranquillité rassurante du domicile familial. Saoule de tant de démesure, elle se réfugiait dans sa chambre, ouvrait sa fenêtre et se perdait dans la contemplation des toits de la capitale.

Aujourd’hui, au lendemain de ses 20 ans, Marie est devant sa fenêtre ouverte.

Le froid a envahi la pièce et pourtant, elle étouffe. Dehors, elle sent l’agitation qui s’est emparée de la ville à l’approche des fêtes de Noël : les lumières clignotent d’impatience, les flocons dansent une valse désarticulée et elle s’attend presque à voir surgir de derrière l’étoile du berger le Père Noël venu lui apporter son cadeau.

Marie rêve d’un cadeau qu’elle ne peut commander, qui ne peut s’acheter, qu’elle n’oserait demander à ses parents tant elle craint de les peiner.

Marie n’en peut plus de se contenter de contempler les toits de Paris.

Marie veut s’envoler et découvrir d’autres toits.

Marie veut crier, rire à gorge déployée, sortir dans la rue habillée comme l’as de trèfle, ou même de pique.

Marie veut être aimée fougueusement et prendre le monde entier pour témoin.

Marie veut, rêve, imagine, souhaite, idéalise, désire, soupire…

Et pourtant, Marie, vingt ans à peine passés, referme tout doucement la fenêtre…

Merci à Marlène pour son dessin et au blog à 1000 mains pour son nouveau jeu d'écriture auquel je participe avec un retard presque honteux!