« Je suis belle, ô mortels !, comme un rêve de pierre. » Tu parles, pour l’instant, je ressemble davantage à de la mortadelle, fumante et dégoulinante sur sa pierre. Mais, ce soir, je serai belle, oui, pour toi. Ma peau sera lisse, poncée, dégommée, vivante enfin. Et tu ne verras rien de mes cellules mortes. Ce soir, pour toi, je serai neuve, oui, une poupée neuve à déballer, à emballer, à empaler surtout. Je n’aurai plus de cicatrices et plus de mauvais souvenirs qui pourraient s’interposer entre nous.
***
Je sue et je sue encore. Je sens tous les pores de ma peau, je deviens mille-trous. Ouille, une grosse goutte me tombe dans l’œil. Je m’étale davantage. Le hammam m’enserre de ses murs brûlants et suintants. Ralentis, mon cœur, calme tes ardeurs, voyons, tu ne peux pas battre si vite dans la moiteur de ce giron.
Des seins et des culs se balancent autour de moi. Moi, je préfère les corps des grosses mamas qui nous frottent jusqu’aux os. Elles me rappellent les statues de ces déesses primitives, rondes et obscènes, qui vous promettaient autrefois fécondité si vous les caressiez ne serait-ce que d’un doigt.
Les murs ont des oreilles, les murs parlent ici. « Tu as des origines ?», me demande l’une des « dégommeuses », à la vue de ma peau brune, de mes hautes pommettes et de mes yeux en amande. Oui, j’aimerais lui dire, je viens d’ici, de la terre profonde et chaude, de cette larve qui coule dans nos veines, de cette torpeur secrète et moite qui bouillonne au fond de chacun d’entre nous. Je m’entends lui répondre toute autre chose :
- Oui, je m’appelle Karima, ma mère est de là-bas.
- Ca se voit, approuve-t-elle
Et d’une claque sur ma fesse, elle m’ordonne de m’étendre sur sa couche pour mon décrassage complet. Je suis son animal, je me laisse faire. Sa main gantée caresse avec âpreté mon dos, mon bassin, mes fesses, ma jambe droite, puis ma gauche ; je me retourne, elle attaque mes genoux, mes hanches, mon ventre, mes seins, mes aisselles, mes bras ; je me décompose sous ses frottements abrasifs et amoureux. Une fine couche de ma nature morte me recouvre désormais, elle me rince comme une bonne jument.
- Saha !, me dit-elle, en signe de fin.
Je bredouille un merci embrumé, encore ronronnante de plaisirs.
- C’est pour ce soir ?
- Oui, c’est la première fois.
- Tu as bien fait de venir, il en a de la chance. Quel heureux homme !
Je rougis. Qu’importe, cela ne se voit guère.
***
Ca y est, je suis enfin dans tes bras, aussi luisante et nue qu’un ver. J’ai passé mon après-midi à attendre, préparer et espérer ce moment. Je suis à toi. Tu me caresses et respires ma peau lisse, lustrée et parfumée. Je n’ai pas un poil de trop, pas un chouïa de crasse sur l’épiderme, je suis aussi propre qu’une…
- Grosse cochonne ! Ah, dis-moi que tu aimes ça…