L'année des boursouflures

Publié le 15 janvier 2008 par Steveproulx

Si je devais résumer la dernière année médiatique en un mot, je choisirais celui-ci: boursouflure.

Une boursouflure, par définition, est une chose "gonflée de façon disgracieuse".

Or, on a bien boursouflé en 2007. Effet de la concurrence entre les médias, on a "spinné" la nouvelle, comme on dit dans le métier. On a fait beaucoup de millage avec peu de carburant.

  

                Boursouflure dès janvier, avec l'arrestation de Myriam Bédard, scrutée à la minute près. "Rien ne justifiait une telle débauche d'information", écrivait Gil Courtemanche dans Le Devoir à propos de ce "triste fait divers transformé en événement national".

Le ton de l'année était donné.

Boursouflure lorsque les médias en général, et ceux d'un empire en particulier, ont décidé de faire des recherches pour retrouver la petite Cédrika le feuilleton de l'été. Un cirque, rien de moins, qui est allé jusqu'à rendre suspects tous les propriétaires de fourgonnettes Ford Aerostar rouges équipées d'un marchepied. Tout ça pour rien. "On a peut-être gratté le bobo un peu trop", a admis le patron de l'information de Radio-Canada, Alain Saulnier, au dernier congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

Boursouflure en novembre, alors que l'aéroport PET recevait de la grosse visite. Et j'ai nommé l'Airbus A380. L'hélicoptère TVA était là pour saisir l'arrivée de l'oiseau. À l'intérieur, l'impayable Paul Larocque s'affairait à nous décrire les microdétails de l'appareil. "Un peu plus et on nous montrait les sacs à vomi!" l'a si bien observé Infoman...

Que cette opération publicitaire soit au menu du bulletin de nouvelles n'est pas un problème en soi. Mais qu'elle atterrisse en 8e place des principaux événements médiatiques de 2007, selon Influence, il y a une marge.

Toutes ces boursouflures n'arrivent cependant pas à la cheville du thème de l'année: les accommodements raisonnables. Pus capable.

A-t-on suffisamment boursouflé autour de la commission Bouchard-Taylor, de "l'attente raisonnable de manger du jambon à la cabane à sucre", du port du hijab aux glissades d'eau ou au taekwondo?

Le sondage Léger Marketing pour Le Journal de Montréal, qui nous a appris que 59 % des Québécois se disaient racistes, s'est hissé au 7e rang des plus grosses nouvelles de l'année!

Surtout, je m'en voudrais de ne pas parler de ma boursouflure préférée de 2007, celle que j'aime pour son cachet rustique: Hérouxville.

Pour une journaliste de La Presse qui découvre, l'œil amusé, le curieux "code de vie" voté par les élus d'une obscure municipalité de la Mauricie, combien ont boursouflé la nouvelle?

Combien de chroniqueurs, de grossistes en humeur, de tribuns téléphoniques, d'ersatz du maire d'Huntingdon, de blogueurs anonymes et de comiques de tout acabit ont ajouté leur pelletée de terre au monticule d'Hérouxville, jusqu'à en faire une montagne?

Dans sa dernière livraison, le magazine du journalisme québécois -Trente- décerne au traitement déraisonnable des accommodements raisonnables la palme de la nouvelle gonflable de l'année.

De son côté, la firme Influence souligne dans son bilan de 2007: "Si on analyse le traitement médiatique accordé [aux accommodements], on réalise que l'affaire a pris des proportions démesurées eu égard à son importance réelle."

Boursouflures.

Puisqu'il me reste encore quelques millilitres de naïveté, j'aimerais former un souhait pour 2008. J'aimerais que les ballounes se dégonflent.

J'aimerais que les médias, conscients du rôle central qu'ils jouent dans la société, développent une allergie aux boursouflures.

Boursoufler une information insolite, un fait divers ou une psychose sociale, c'est faire du mauvais travail. C'est tromper le public, purement et simplement, en le poussant à regarder le doigt, alors que celui-ci montre la maison qui brûle.

Misère, voilà que je fais de la poésie... Vivement que l'année finisse!


© Steve Proulx | 2007 | Texte original paru dans Voir, 19 décembre 2007