Centre des Mirabelles
« Les Mirabelles », ce centre pour enfants atteints de toutes sortes de troubles se trouve à Hallancourt, une ville à l’allure sévère, tranchée en deux par une nationale. Elle se situe à une centaine de kilomètres du domicile familial.
Maryse doit prétexter une maladie stratégique pour obtenir de son médecin un arrêt de travail, ainsi, elle sera plus proche de Gérald chaque jour.
- S’il y a un débile dans la famille, ça ne peux venir que de ton côté. Lui rabâche Paul, son mari.
Le jour du départ, Gérald fait sa valise et embrasse son père, devenu violet avec le temps et peut-être avec le rosé qu’il boit aussi. Gérald serre fort Jean-Pierre dans ses bras en versant une petite larme de reconnaissance, d’amitié, mais d’angoisse aussi, car il ne sait pas où on l’emmène réellement.
Au centre des Mirabelles, c’est une petite chambre qui l’accueille. Il pose son sac sur le lit, se dirige vers la seule porte existante et part de l’angle : Il compte alors seize carreaux au sol, soit quarante-quatre choux-fleurs pieds-nus. Gérald est soulagé.
une fois les papiers d’entrée signés, Maryse rejoint Gérald et semble satisfaite de son nouvel environnement. La fenêtre de la chambre de son fils à vue sur parc, les murs de la pièce ont été repeint récemment et surtout, les jeunes qu'elle a croisés dans les couloirs n'avaient pas l'air de déficients mentaux – Tu seras bien soigné ici, puis elle lui glisse un billet de cinquante euros dans la poche de sa chemise.
S'éloignant au dehors, Maryse lui fait de grands signes de baisers en guise d'au revoir, mais Gérald ne la voit déjà plus ; il est occupé à compter les pales du store de la fenêtre de sa chambre qui sont au nombre de dix-sept. Il compte à nouveau pour être sur de l'impair puis, fou de rage, arrache l'ensemble en hurlant de désespoir. Alertés, les infirmiers accourent, entrent dans la chambre et maîtrisent le garçon en le plaquant au sol. Il faudra à Gérald quelques minutes avant que sa crise ne se termine. Assis sur son lit, les mains devant ses yeux, il refusera de répondre aux questions des médecins et dégagera même hors du lit, Pascale, la seule infirmière stagiaire du centre psychiatrique.
Le lendemain, Lors de la première séance thérapeutique, Gérald croise une jeune fille tenant un soda à la main.
Salut ! Moi, c’est Gérald ! Et toi ?
-Répète-le ?
-Bonjour, moi, c’est Gérald, et toi ?
-Répète-le. ?
-Bonjour, moi, c’est Gérald… et…Et toi…
-Répète-le. !
-Bonjour, moi… c’est…
-Ben… moi, c’est Marina. Gerald lui répond instantanement :
-Répète-le ?
- La jeune adolescente tente alors de dissimuler son rire en détournant la tête puis enchaîne lui demande :
Tu vas en Thérapie ?
Oui... je peux t'appeler Soda, Marina ?
S' tu veux, oui. On y va ensemble ?
OK.
Les thérapies se font par groupe de six le plus souvent. Un psychothérapeute dirige la séance, entouré de deux infirmiers.. Des banquettes de couleur mauve ont été installées pour le confort, mais le plus étrange sont ces néons violets fixés au plafond et recouverts de draps blancs sur toute la pièce. La salle est tamisée, chaleureuse, peut-être rassure-t-elle les patients quand ils doivent se lancer à voix hautes dans leurs confidences
Une fois installé, chacun se présente devant le groupe quand vient le tour de Gérald. Contrairement aux autres, il préfère rester assis. Toussotant un peu, intimidé de devoir délivrer ces secrets, c'est rouge pivoine qu'il commence sa présentation :
- J’ai des troubles, des TOC comme on dit, tout doit être symétrique dans mon environnement et j’ai la phobie des chiffres impairs, je les remplace par une méthode que j'ai appelé « clés. »Avec l'âge, je me suis rendu compte que c'était bel et bien une maladie, j'ai donc accepté de passer deux semaines ici.
Arrive le tour de Soda qui se lève et ne semble pas intimidée :
- Salut ! je suis trichotillomane enfin...trichotillo -girl plutôt et j'ai des crises d'angoisse comme tout l'monde ici...et...
La jeune fille se tourne alors en direction du docteur - Docteur, j'en ai marre de devoir me présenter chaque semaine devant les nouveaux !
- Il le faut Marina, tu le sais. Bien. Voudrais-tu bien expliquer à tes camarades ce qu'est la trichotillomanie ?
- Oui...j'm'arrache les cheveux puis je les mange
Gérald lui souffle alors à l'oreille :
Ben moi, j'arrache ceux des autres si tu veux de l'aide ! C'est dans mon package TOC ! Les deux adolescents partent en fou rire et Marina enchaîne :
- Oui, ils m'ont rasé la tête, mais j'ai encore les poils du cul si tu veux, Gérald !
Gérald, plié en quatre de rire, doit simuler une crise d'angoisse et demande au docteur s'il peut aller prendre l'air quelques minutes à l'extérieur.
Il s'enferme dans sa chambre, encore confus d'avoir abandonné cette séance aussi vite, puis culpabilise aussi, car sa mère attend de réels progrès de sa part. Ce séjour aux Mirabelles n'est ni gratuit ni remboursé, puis ce n'est pas un parc d'attraction. Troublé, il tente de se plonger dans un livre de science-fiction, mais riant nerveusement, le referme aussitôt et pense à cette fille au crâne presque nu.
C'est chaque jour, aux alentours de dix heures que Soda ramène son multi-player dans la bibliothèque ainsi qu'une bouteille de Pepsi. Cachés derrière une bande dessiné, Gérald et Soda vont écouter un peu de musique et faire semblant de lire, car, peu importe en fait. Le principal est qu'ils soient tous deux serrés l'un contre l'autre. Cette amitié a l'air de faire taire ces deux maladies, mais pour une heure seulement, le temps que Pascale, l'infirmière, se lève de son bureau et claque des mains :
Suivez- moi pour vos traitement les ado' et ensuite, réfectoire !
Soda chuchote à Gérald :
-Tu as un traitement ?
-Non, pas l'midi...Toi ?
-Pareil...
Les anorexiques ne mangent pas avec les boulimiques ? Demande un Gérald amusé.
Soda ne peut répondre, car la voilà prise d'une crise d'angoisse. Il lui est impossible de se saisir de son plateau-repas. La déréalisation la submerge, elle reste là, figée dans le couloir du temps. Un vide absolu la gagne petit à petit alors, les infirmiers apparemment habitués à ce genre de crise l'emmènent calmement jusque dans sa chambre ; c'est d'une voix fluette et tremblotante qu'elle s'adresse à l'un d'eux :
- Je n'existe plus...
- Marina ! S'écrie Pascale en claquant des doigts juste devant ses yeux. Tout est bien réel alors respirez bien fort ! Prenez acte Marina ! Prenez acte !
Dans le couloir, la mésaventure de Soda bouleverse et tétanise Gérald. Lui qui a des réflexes, des manies, des TOC parfois même...jamais il n'aurait pensé que ce soit autant incommodant au point de sauter un repas. Et c'est à son tour d'angoisser maintenant, car pris d'amitié pour cette adolescente il s’inquiète et ressent comme mille petites aiguilles venant lui transpercer la poitrine, son cœur se comprime et paniqué, il lâche alors la bouteille de soda au sol.