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Ceux qui se réjouissent

Publié le 19 décembre 2010 par Jlk

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Celui que le bonheur squatte / Celle qui lit Stendhal au jardin d’hiver / Ceux qui se sont reconnus sous la neige de Venise / Celui qui est bien dans sa peau de Beyle / Celle qui trouve le gros Henri al dente / Ceux qui dégustent des éclairs en faisant tapisserie / Celui qui offre un chartreux à sa chartreuse / Celle qui se dépouille de ses pudeurs jusqu’à sembler nue tout habillée / Ceux qui savent que l’obscurité poétique est un masque de la lumière / Celui qui décrypte Mallarmé pour en mettre plein la vue à son amie aveugle / Celle qui lit le monde du bout des doigts / Ceux qui s’habillent de couleurs vives pour égayer le jour blanc sur la piste noire / Celui qui émerge de six mois de stupidité à fréquenter des pipoles / Celle qui fait silence pour entendre en elle les battements de vers réguliers / Ceux qui cherchent une nuit pure que le « couteau de l’histoire humaine » n’aurait pas encore blessé / Celui qui pratique l’obscur par humilité plus que par hermétisme / Celle qui se drape de sa nudité / Ceux qui se perdent dans les venelles de Venise / Celui qui se désintoxique dans la cramine du ciel d’hiver / Celle qui commande un lieu noir au serveur blond vénitien / Ceux qui fustigent les gens heureux qui n’en peuvent mais ah ça mais / Celui qui jalouse ton bonheur et plus que tout sa gratuité asociale et non lucrative tellement insensée à ses yeux de pharmacien vertueux / Celle que porte une allégresse irraisonnée et qui ma foi se laisse faire / Ceux que le seul nom de Cimarosa réjouit ce matin au Danieli / Celui que reconnaissent les pigeons de la place Saint-Marc sans se douter qu’il savoure parfois l’un d’eux bien farci de goûts aigre-doux / Celle qui est trop fidèle pour donner son cœur à tous ceux qu’elle aime alors que son corps mortel y a pas de problème / Ceux qui ont eu vent du secret du monde et le taisent pour cela même / Celui qui dément en secret ses prétendus aveux colportés par les médias / Celle qui n’a rien à cacher sauf l’essentiel / Ceux que n’amuse plus la futilité de la télé / Celui que le vide de la télé n’afflige même plus vu qu’il ne regarde que les films d’animaux et Le Pont de la rivière Kwaï quand il repasse / Celle qui trouve les séries tellement con qu’elle n’en manque pas une pour se reposer dit-elle / Ceux qui voient en les grimaces de Ruquier la préfiguration de l’éternelle médiocrité / Celui que son bonheur rend ses proche heureux / Celle que le bonheur des autres fait resplendir / Ceux qui voient en chaque jour un cadeau même quand ça n’en a pas l’air mémère, etc.

Image : Philip Seelen  

(Ces notes ont été jetés dans les marges de Trésor d'amour, le nouveau livre à paraître de Philippe Sollers qui hante Venise et les mânes de Stendhal) 


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