L'aurore me surprend assis à mon bureau. Doucement les lavis et les fusains de ce qui passait jadis pour un ciel tailladent l'espace livide. Je suis à pied d'œuvre. J'ai très mal vécu les vacances dont j'émerge à peine. Je me suis essoré dans l'épuisement, comme je le fais parfois. Et là, pour la première fois depuis des mois la vigueur et l'enthousiasme me font bondir du sac de couchage et me voilà en route. Tout ce qui ne tue pas te rend plus fort, aiment psalmodier les imbéciles (moi le premier). Va chanter cette rengaine idiote aux amputés de guerre, eh, grimaud. Je boîte, je me traîne, j'échappe tout. Les chats me regardent d'un air condescendant. Z'ont l'air de dire « man, prends-ça cool ». Z'ont raison, évidemment. Faudrait toujours pouvoir ronronner, bien sûr. Mais les temps sont durs.
Je vais vous avouer un truc inouï. L'explosion pathétique de Pink Floyd dans les années quatre-vingt m'a foutu par terre pour des mois. J'avais toujours fantasmé sur l'idée d'un groupe de gens brillants qui collaborent et créent des chefs-d'œuvres qui sont la somme des parties multipliée par mille. La démonstration factuelle et indéniable par les trois imbéciles du fait que leur groupe n'était rien de plus que l'application soigneuse de l'idée très forte d'un seul et unique type talentueux (Waters) entouré de plombiers à peine compétents (nonobstant les chouettes sons de gratte bourrée d'écho) m'avait totalement désespéré. C'était le début d'une nouvelle ère. Supertramp s'est ensuite débarrassé de son auteur compositeur interprète guitariste chanteur pianiste arrangeur concepteur Hodgson pour continuer sans lui, qui devenait sans doute un poids à traîner. Bon, au plan littéraire, ces derniers n'ont jamais passé la maternelle, mais j'ai toujours eu une place dans mon cœur pour l'écorchure simplette. Genesis a réussi sa déflagration jusqu'à un certain point, mais l'immensité du carpetbombing médiatique associée aux succès les plus nigauds de la marque™©, désormais vidée de toute sa substance et de son sens, ont fini de me convaincre du fait que l'époque des idées était bel et bien révolue, qu'un sardanapalesque pont-levis blindé s'était refermé et qu'on avait désormais plus accès à la forêt, aux montagnes, aux ruisseaux qui caracolent dans l'ombre impertinente. Fallait désormais se satisfaire de l'image du souvenir de l'évocation de la gestuelle du cliché du film du scénario du livre du synopsis de la colline verdoyante, based on a trou story.
Pourquoi parlé-je donc de Fleetwood Mac et de Simon & Garfunkel, ce matin ? Bin crois-le ou non, amie lectrice — et toi aussi, rare ami lecteur —, donc, bref, dis-je bien, euh… cré-moué cré-moué pas, tout ça a rapport à Wikileaks. Bin oui. C'est en pleine rupture amoureuse que j'ai commencé à comprendre que j'avais placé beaucoup d'espoir et d'admiration dans la démarche d'un agent de la CIA (l'« ange-de-cul », pas la belle, voyons, concentrez-vous un peu, rongtudju). Tarpley, Chossudowsky, et finalement cet implacable clou dans le cercueil ce matin, cadeau de mon cher ami Thibaud. Bref, passons. Ceux qui ne sauront pas se frotter les yeux et reconnaître l'ogre dans le bikini seyant qui se dandine dans leur pajot seront condamnés à servir de pâture. Bienvenue dans le millénaire des renseignements. Shape in or ship out.
Marrant, le timing, parfois. J'ai écrit dans chais plus quelle chanson orpheline (y en a une piscine) que le timing est un gyprock, un cataplasme, un bétonnage. Bref, drôle, bien drôle d'époque. Alors c'est l'heure de faire jouer Brassens et Ferré à fond. Et Johnny Cash, itou. Ils se répondent l'un l'autre dans la lumière bistre et morose de ces matins les plus paresseux de l'année. D'ici quelques jours à peine, ça rallongera. Et oui.
C'est ainsi que nous vivons.
Et c'est pas d'hier.© Éric McComber