Le bus, c’est l’aventure… (part 3)

Publié le 22 décembre 2010 par Anaïs Valente

Je descends donc du bus longue distance qui a refusé ma présence et j’attends un autre bus, plus « urbain », où je pourrais réchauffer mes petons congelés par les congères et la petite marche forcée d’il y a un quart d’heure.

Le voilàààààààààààààà, tel le messie : un bus.  Urbain.

Y’a foule, à croire que tout le monde a été éjecté de bus grandes lignes en prévision du nouveau règlement à la noix de macadamia.

Je me mets dans la file de ceusses qui veulent monter et j’attends.  Je suis derrière une dame et son fils, que je laisse passer.  Ils s’installent sur deux places individuelles, l’un derrière l’autre.  Tchu, j’aurais pas dû les laisser passer, du coup.

Je m’installe donc non loin d’eux, sur un siège pour deux.  J’aime pas ça, vu qu’avec tout le barda que je trimballe, je suis souvent obligée de me serrer comme une sardine obèse pour ne pas occuper deux sièges à la place d’un.

Mais je suis contente d’être assise.  Et au chaud.  Et enfin dans un bus qui me ramène at home.

D’autant qu’il y a foule.

Et que la foule augmente aux deux arrêts suivants.

Soudain, cris et hurlements.

Pas cris et chuchotements, non, cris et hurlements.

Beuglements.

« C’est mon fils, rendez-moi mon fils ».

« Mais c’est mon petit-fils, je veux mon petit fils ».

« JE VOUS DIS QUE C’EST MON FILS ».

« NAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN C’EST MON PETIT-FILS ».

Et ainsi de suite durant de longues secondes.

Tous les passagers, moi y compris, sont statiques, estomaqués, sauf deux personnes qui tentent doucement de séparer les deux furies, accrochées toutes deux aux bras de ce pauvre enfant, qui s’est mis entre-temps à pleurer et hurler de peur.

Et moi d’imaginer qu’il se déchire en deux, tant ses « mère » et « grand-mère » frisent l’hystérie.  Ah non, elles ne la frisent pas, elles sont en plein dedans.

Dans ma tentative de compréhension, je me dis qu’il doit s’agir d’un conflit familial : une mère et sa fille, une belle-mère et sa belle-fille, qui ne se voient plus, l’enfant vivant chez sa mère, la mère ou belle-mère voulant se l’accaparer quand le hasard de la rencontre les met en contact.

Alors je ne moufte pas, conflit familial.

Et puis la mère hurle, supplie le chauffeur d’intervenir.  Il ne moufte pas non plus, ça doit être le règlement qui prévoit qu’à partir du 1er janvier les chauffeurs peuvent plus aider les passagers, même s’ils se vident de leur sang.  Alors autant les habituer dès le 15 décembre hein.

Soudain, un petit bonhomme capuché tire doucement le bras de la « grand-mère », toujours hurlante et accrochée à son « petit-fils », et lui dit « mamy, chuis là ».

Et voilà, je comprends.

Et tout le monde comprend.

La Mamy, et ben, elle s’est trompée d’enfant.  Avec la foule, la « vraie maman » a voulu prendre son fils sur ses genoux pour libérer l’enfant.  A ce moment précis passe la mamy, qui perd sans doute un instant de vue son vrai petit-fils, lequel file dans le fond du bus.  Le regard de notre mamy un tantinet taupe se pose alors sur l’enfant en train de changer de siège, elle le confond avec son petit-fils et, au lieu de vérifier (faciiile de vérifier, suffit de mater le visage de l’enfant, pardi), tente de l’arracher à sa pauvre mère qui n’y comprend rien.

Mais maintenant on a tous compris.

Et la mamy aussi.

Mais, au lieu de se confondre en excuses, ben elle continue à hurler, non plus sur la vraie maman du pauvre enfant traumatisé, mais sur son vrai petit-fils revenu des limbes du fond du bus.  C’est donc la faute de ce pauvre enfant, qui a commis, j’en suis consciente, une bêtise en allant dans le fond du bus, mais de là à lui hurler dessus et à le tenir responsable de son hystérie, il y a un pas qu’elle n’aurait pas dû franchir.  Du moins le pense-je.  Passque c’est qui l’enfant là, le gamin de sept-huit ans qui par mégarde fonce dans le bus, ou la mamy adulte qui s’imagine qu’on veut lui voler ledit gamin et hurle comme une possédée et tente d’arracher un enfant des bras de sa mère sous prétexte qu’il est habillé pareil que son petit-fils ?  Passque je vous le dis, y’a rien de plus ressemblant à un manteau foncé qu’un autre manteau foncé.  Mais tout de même quoi…

Les cris continuent donc, seule la cible a changé.

Et la première cible, j’ai nommé la véritable maman, s’est réfugiée au début du bus avec son gamin encore tremblotant.  Et moi chuis toute émotionnée de ce qui vient de se passer.  D’autant qu’elle accuse les passagers de ne pas avoir moufté.  Et elle a raison, mais ça s’est passé si vite, juste le temps de me dire « mais keski se passe, c’est deux membres de la même famille qui s’arrachent le même enfant ? » et paf, l’affaire était terminée.  Je réalise alors pourquoi, bien souvent, lors des agressions, les gens ne bougent pas : ils sont scotchés de stupeur (et tremblements).

Le chauffeur, lui non plus, n’a pas moufté, et il refuse d’appeler la police, que la vraie maman réclame à cor et à cris, et je veux bien la comprendre, son gamin est totalement traumatisé.  Le chauffeur finit par se ranger au bord d’un trottoir et par appeler le contrôle TEC, qui met des plombes à venir.  Heureusement que personne n’était mourant, sinon la faucheuse aurait largement eu le temps de faire son travail.

L’attente est si longue que pas mal de passagers descendent du bus, tant qu’à faire.  Mais il neige et j’ai froid, alors je reste à ma place.  Et puis, sait-on jamais qu’il se passe encore quelque chose.  Passque je suis en train de saliver de bonheur à l’idée des billets que je vais vous écrire suite à tous ces événements, hein, c’est clair.

La grand-mère, remise de ses angoisses, tente une approche pour s’excuser, mais il est trop tard, la mère lui hurle qu’elle aurait mieux fait de vérifier avant de vouloir démembrer son fils qui n’était pas son petit-fils (ça va, vous suivez toujours ?)  Et le vrai petit-fils de se faire à nouveau enguirlander comme du pus.

Arrive enfin le contrôle TEC, qui prend les cartes d’identité et note les faits.  La vraie maman et son gaminou sous le choc descendent du bus, afin de se remettre de tout ça, d’échapper à la mamy furax et de décider si plainte sera déposée.

Le bus continue son trajet, avec moi à bord, la mamy et son vrai petit-fils qui, le pauvre, va sans doute passer un sale gros quart d’heure une fois hors de la vue des passagers.  Il en a déjà bavé depuis vingt minutes, je n’ose imaginer la suite…

Je rentre chez moi, me disant que vraiment, le monde devient fou.  Et violent.  Et agressif.  Et déneuroné.

Je vous le disais, le bus, c’est vraiment vraiment vraiment l’aventure…  

Demain, un « bonus bus » : tentative de suicide devant l’engin.