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Nebraska

Publié le 22 décembre 2010 par Les Alluvions.com
- Tu as compris, Laurent ? Tu vois le trajet à partir de Béatrice ?
- Je vois que tu es bourré oui...tu titubes Nill.
- Ce n'est pas faux, mais je connais assez bien le chemin. Béatrice — Little-Rock- Arthur's town.
- Oui, mais si je suis le schéma tracé sur le mur du bout de ton index, je suis sûr que demain, je pars pour Vancouver. Alors si tu le permets, j'irai quand même du côté de la gare pour voir s'il n’y a pas de train pour la Louisiane demain. Nill fixe le mur cherchant son schéma invisible à l’œil nu puis hausse les épaules – Possible... fort possible qu'il y en ait...j'ai connu un patient ici, décédé d'une méningite foudroyante qui prenait le train Béatrice- Greenville ( Louisiane)
- Ah ?
- Oui, nous n'avons pas eu le temps de faire réellement connaissance et encore moins d'approfondir une quelconque relation, car peu de temps après son entrée en chambre, il a dû repartir les pieds devant...remarque, entre nous Laurent, il était arrivé à l'hôpital avec les pieds positionnés de cette manière déjà.
Pas de pot en effet, mais nous arrivons tous en chambre les pieds devant, Nill.
Non. Pas tous. Tout dépend de la largeur du couloir et de l'infirmier qui manœuvre ; moi, je suis arrivé dans cette chambre comme un nourrisson sortant du ventre de sa mère, tête première quoi...bon, je continue à propos de ce mec. On a eu le temps de discuter un peu et je peux te dire qu'il était optimiste quant à son rétablissement ! Il me répétait « Les médecins l'ont décelée à temps et m'ont certifié que je m'en remettrais rapidement. Et alors, plouf !
- Plouf ?
- Oui, plouf ! Un matin, il a replongé dans un coma profond, juste après le petit-déjeuner ! Foudroyante je te dis ! J'ai appuyé sur l'alarme et les infirmiers l'ont emmenés dans le couloir de droite...droite, c'est réanimation et gauche morgue si ça peut t'éclairer ; une heure après, j'ai de nouveau vu son lit passer à toute vitesse...mais en direction de la gauche cette fois-ci.
- Ils n'ont pas réussi à le réanimer ?
- Faut croire que non. Son corps était zippé dans un emballage de toile jaune alors je ne pense pas que c'était pour aller faire une séance de plongée dans la piscine municipale de Béatrice.
J'me doute, Nill...mais quelle déveine...
Je mens à Nill. Je me fiche totalement de son histoire de voyage payant à soixante-dix dollars l'aller-simple pour Greenville. Ce qu'il ignore est que, dans ma vie, j'évolue de train de marchandises en train de marchandises. Parfois, ça ne me réussit pas et me retrouve dans un wagon pour bestiaux destiné à l’équarrissage, alors je me plains quelques instants de cette position inconfortable en maudissant dieux et diables; puis, lassé de ne pas être écouté, je décide ( en général) de provoquer la chance ( sauter du train en marche comme à Midwest-city par exemple ) et d'aller de l'avant. La ville d'Arthur est ma prochaine étape et les habitants n'ont qu'a bien se tenir, car j'arriverai peut-être par le biais d'un wagon ou seront stockés des sacs de graines destinées à leurs maudites gallinacés.
Nill est saoul et semble être comme le roseau dans la fable. Il titube, mais ne rompt pas. A l'instant où je me lève pour débarrasser nos deux assiettes en plastique, Marina ouvre brusquement la porte de la chambre en s'écriant - C'est ici... ! Vous fumez le cigare en plus ? Le couloir est enfumé messieurs puis ..MAIS VOUS AVEZ BU DU VIN ? ? Vous voulez mourir maintenant, monsieur Paisley ? Nill lui répond vaguement, délirant dans ses volutes cancérigènes – couloir de gauche, Marina...voilà où nous finirons tous...La jeune infirmière me lance un regard accusateur et tend son index droit vers moi ; on croirait vraiment que son doigt peut s'armer d'un instant à l'autre pour me tirer une balle au milieu du front :
- Où vous êtes-vous procuré tous ces vices, Monsieur Laurent ? !
- Héréditaire, dis-je ou peut-être génétique Marina. L'alcoolisme saute deux générations paraît-il et il semblerait que ce soit mon arrière grand- père qui avait le flambeau. C'est d'ailleurs pour ça que je ne veux pas d'enfant.
Nill ricane derrière notre dos. Il le fait bêtement et ses épaules se gaussent, se haussent en rythme lorsqu'il tente de poser une main devant sa bouche. Suit un hoquet stupide. Je lui demande si tout va bien et il me fait un signe rapide de la main censé me faire comprendre – ça va, ça va ne vous occupez pas de moi...
Une frustration de jeune maman désordonnée prend Marina. Un baby-blues sans aucune déprime, une colère feinte peut-être ; fonçant en direction de la fenêtre, elle l'ouvre en grand et nous punit – Voilà ce que vous avez gagné messieurs ! De l'air froid pour remédier à la fumée de vos cigarettes ! Je la laisserai ouverte une minute, ne vous déplaise ! Nill sort enfin de son fou rire et se glisse au fond de ses draps. Il mettra peu de temps à faire venir le marchand de sable, quant à moi, je débarrasserai nos plateaux-repas puis irai me coucher également. Il est vrai que le vent souffle à l'extérieur et Marina, de sa douce punition, nous regarde malgré tout avec envie, tendresse...comme si elle aimerait adorer les enfants un jour, lorsqu'elle sera grande...

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