Mon cher Victor,Il paraît que lors d'une rupture il y a plusieurs étapes. L'étape des larmes, dans laquelle je suis enlisée depuis un certain temps (mais il me semble que ces sables émouvants m'ont libérée hier... On dit "mouvants", Mirabelle ! Je sais, enfin, pour qui me prends-tu ? C'était pour faire un mot d'esprit ! Ah... C'est raté ! Tu veux qu'on la refasse ?), puis l'étape du "je suis libre", qui consiste, en résumé, à se retrouver soi-même, à plonger au coeur de sa vérité personnelle. J'espère être parvenue à cette étape. Et qu'est ce qui te permet d'entretenir un si bel espoir ? J'ai récemment repris contact avec une bonne copine d'école primaire, que j'ai suivie au collège et dont j'étais assez proche. Il se trouve que cette bonne copine, que je nommerai Fannette (quel joli prénom, hein, Jacques ? Moi, c'est Victor ! Tu n'as encore rien compris !), revoit notre professeur de français de 4ème. Et c'est là que je reprends confiance... Raconte, raconte !
Il s'appelait Monsieur C. Il s'appelle toujours, d'ailleurs, le pauvre ! Paraît-il qu'il exerce encore dans le collège de notre adolescence, avec la même passion, même si, d'après lui, "tout a changé". C'est l'un des meilleurs professeurs qu'il m'ait été donné de rencontrer. Passionné... Et donc passionnant ! Un amour débordant pour la littérature. Il m'a fait aimer Andromaque et Molière, Erich Maria Remarque et Sweig, Stendhal et... Toi, mon bon Victor ! Aaaah ! Tout de même ! Je me demandais quand tu daignerais enfin me citer ! Prétentieux ! Bref. Il aimait l'écriture, les vrais textes, saupoudraient ses cours d'un brin de magie. Et puis surtout, il m'aimait, moi. Il m'appelait sa "littéraire" et appréciait mon style, qu'il approuvait la plupart du temps par une note au-dessus de 17/20. Je l'adorais, Monsieur C. J'ai encore en tête certaines de ses phrases, son sourire de cheval (les incisives passant par dessus la lèvre inférieure et... Tu as déjà vu un cheval sourire ? Non mais...) et le ton de sa voix lors des dictées. Oui, vraiment, je l'adorais, Monsieur C., et il faut bien dire qu'il me le rendait bien.
Si bien que j'ai appris il y a quelques jours, par cette Fannette (qu'il voit régulièrement), qu'il serait ravi de me revoir. On m'a remis son numéro de téléphone pour que je passe, un de ces jours, boire une tasse de thé chez lui. J'en suis ravie, bien sûr, mais j'ai un peu peur. Du jugement. Je ne suis pas devenue prof de lettres, contrairement à ce qu'il voulait, à ce que mon entourage voulait pour moi. Et alors ? Tu es instit' ! C'est ce que tu souhaitais, non ? Et puis ce ne sont certainement pas eux qui doivent décider de ta vie ! Certes. Mais que répondre quand il me demandera où en sont mes rêves d'écriture ? Eh bien dis-lui la vérité... Quelle vérité ? Lui dire que je ne fais que converser avec un vieux bonhomme grincheux ? Que mes rares tentatives d'écriture ne me satisfont pas ? Que je n'ai pas le temps, trop prise par la classe ? Oui. Dis le lui. Sans doute te donnera-t-il quelques conseils !
Tu sais, Victor, cette soudain réapparition de ce cher Monsieur C. m'amène à plusieurs réflexions... Où sont mes ambitions ? Qu'ai-je fait de mon rêve ? Pendant quatre ans, j'ai manqué d'exigence avec moi-même. Je me suis perdue, égarée, pour lui plaire. Au bout du compte, c'est raté. Alors autant me retrouver... Non ? Bien sûr que oui ! Alors je vais me remettre à écrire. Sérieusement. Avec mon stylo-plume fétiche et mon cahier à grands carreaux. Faire resurgir cette rigueur et cette fièvre, bâtir un projet qui me tiendra. Peut être qu'après tout... C'est bête hein... Mais ce professeur, qui croyait tant en moi (d'après Fannette, il est "encore tout admiratif" de mes rédactions), refait surface dans ma vie alors même que, justement, je suis en pleine période de doute sur ma valeur et mes capacités. N'est-ce pas là un coup de pouce du destin qui me souffle : "Allez, Mirabelle ! Arrête tes jérémiades et va donc écrire... Et que ça saute !" ?