Ce qui peut surprendre le plus un guetteur de nuit, c’est que quelqu’un vienne. Ce qui explique pourquoi Natacha sursaute quand la sonnette retentit à trois heures du matin. Qui est là ? D’habitude, les clients n’arrivent jamais si tard. Dehors, il pleut et il fait froid. Il faut se lever, quitter Clint, ouvrir la porte et, qui sait, peut-être avoir affaire à un fou, un violeur… A force de regarder des films de gangster, Natacha se méfie de tout. Mais les bleus reçus à son âme lui ont appris deux choses : ne plus avoir peur et surtout aimer le danger.
De toute façon, c’est elle qui décidera quand elle partira. Elle serre son pistolet au creux de la poche comme un grigri protecteur, un joli Beretta hérité de sa mère. « Protège-moi, petit objet incongru et interdit, si près de mes hanches, la promesse de ma mort à venir et, en attendant, celui qui me défendra contre n’importe quelque chercheur de noix. » C’est dingue combien une arme vous donne un sentiment de puissance, voluptueux, coupable. Dans tous ses films, Clint n’hésite jamais à tirer quand il le faut.
Il y a un type derrière la porte. Il a l’air frigorifié. Natacha met le crochet et entre-ouvre :
- C’est pour ?
- Are you fully booked ?
- No, mais on parle français ici.
Un américain, il ne manquait plus que ça. Il doit avoir perdu l’adresse de son young hostel.
- Well, can I get in ? I’m just freezing…
- Ok, ok…
Elle enlève le crochet et fait entrer la bête. Il est là devant elle, tremblant, avec sa guitare en bandoulière et ses yeux bleus outre-Atlantique. Il est plus petit qu’elle, aussi musclé que ses compatriotes, le nez cassé, les cheveux trop courts et le crâne rasé à la mode ricaine. Un vrai redneck, quoi… Oui, mais beau et fatigué.
- Vous savez qu’un t-shirt n’est pas ce qu’il y a de plus accoutumé par ce temps ?
- Pardon ?
- Rien. Tu veux une couverture, une serviette ? A coat ?
- Oui, merci…