A Tours, les portraits de l'atelier Nadar reflètent l'évolution du goût. Mais ce sont des tirages modernes...

Publié le 23 décembre 2010 par Lauravanelcoytte

A l'occasion du centenaire de la mort de Félix Tournachon (1820-1910), plus connu sous le nom de Nadar, le musée du Jeu de paume de Paris organise une exposition décentralisée à Tours. En fait d'exposition, il vaudrait mieux parler ici d'un exposé brillant sur l'évolution du portrait photographique à travers la production de l'atelier Nadar, père et fils. De salle en salle, une dizaine en tout, de très longs textes explicatifs de l'historien Michel Poivert sont affichés en cartels. Rares sont les visiteurs qui les lisent. Car, bêtement, ils sont venus, eux, voir des photographies des Nadar. A défaut, ils en sont réduits à contempler des épreuves récentes qui ne peuvent rivaliser en émotion avec celles de l'époque.


Le propos de Michel Poivert (1) n'est pas dépourvu d'intérêt. Voici ce qu'il nous explique. Déjà célèbre pour ses caricatures de personnalités publiées dans la presse parisienne, Nadar stupéfie son époque en captant dès 1854 avec un appareil photo « la ressemblance intime » de son modèle. Prodige que l'on pensait alors réservé à la peinture. Nadar restitue l'intelligence bienveillante de George Sand, la générosité épicurienne d'Alexandre Dumas, la fulgurance de Charles Baudelaire. Son oeuvre est souvent résumée à ces portraits très connus alors que, dès le début des années 1860, il fait des « portraits commerciaux ». La production de l'atelier parisien, repris par son fils Paul jusque dans les années 1930, ne cesse au fil des ans de « s'industrialiser » pour se conformer au goût des clients. A la Belle Epoque, des acteurs de théâtre de boulevard se font photographier dans des décors rococo en tenue de scène kitsch. Tout cela pourrait être considéré comme une dérive bassement mercantile par rapport aux premiers portraits, alors que ces images de très bonne facture reflètent l'évolution de l'imaginaire d'une société.

On adhère à la démonstration, mais on en sort frustré. Les retirages modernes paraissent atones, sans personnalité, sans âme, sans vie propre. De la part du Jeu de paume, la démarche est incompréhensible. Le château de Tours ne pouvant accueillir les originaux dans de bonnes conditions de conservation, il aurait mieux valu s'abstenir plutôt que d'entretenir un éternel malentendu sur la photographie. Une image n'en vaut pas une autre. Admettrait-on que le musée d'Orsay rende hommage à Van Gogh avec des copies ? Comme un tableau, une photographie originale (un vintage) est unique, avec ses émulsions d'époque, sa patine, qui la rendent incomparable. C'est pour voir ce qu'aucune reproduction ne pourra jamais rendre qu'on se déplace dans une exposition. Pour celle-ci, un ouvrage aurait parfaitement fait l'affaire. 

(1) Il le résume très bien dans un film qu'on peut visionner sur www.jeudepaume.org

Luc Desbenoit
Telerama n° 3165 - 11 septembre 2010