Staalesen : vraiment incontournable

Publié le 23 décembre 2010 par Mazet

La nuit, tous les loups sont gris de Gunnar Staalesen

Deux mots de l'auteur

Gunnar Staalesen est un auteur norvégien de romans policiers, né le 16 octobre 1947 à Bergen. Ses romans mettent en scène Varg Veum, un ancien salarié de la Protection de l'Enfance devenu détective privé après avoir eu la main un peu trop lourde sur un dealer, et qui s'occupe désormais d'aller chercher des fugueuses jusqu'à Copenhague ou d'enquêter sur des meurtres, non sans que son grand ennemi de la police de Bergen, Muus, lui mette des bâtons dans les roues. Varg est divorcé, ressasse encore et toujours ses déboires passés et présents avec la gent féminine, tout en noyant ses pensées dans l'aquavit.

Au fil des romans le lecteur s'immerge dans le Bergen des années 1980 en pleine transformation urbaine, où règnent le meurtre et la toxicomanie. Un Bergen de paradoxes, de maisons cossues et de taudis, de prostituées et d'avocats renommés. La vision sociale-réaliste de l'auteur porte un coup sérieux au célèbre modèle social scandinave.



Résumé rapide.

Une fois encore désœuvré et mal aimé, Varg Veum sympathise dans un bar avec Hjalmar Nymark, policier à la retraite, solitaire et tenace. Ancien Résistant, Hjalmar est obsédé par un tueur surnommé Mort aux Rats, exécuteur des basses œuvres du régime pendant l'occupation, dont il pensait avoir retrouvé la trace dans l'incendie d'une fabrique de peinture en 1953, puis dans la disparition d'un docker en 1971. Hjalmar a juste le temps de communiquer ses soupçons à Varg avant d'être renversé par une voiture puis de mourir - apparemment d'une crise cardiaque - le jour de sa sortie de l'hôpital tandis que ses archives disparaissaient de son domicile. Beaucoup trop de coïncidences pour Varg qui va remonter le temps, les silences, les dissimulations et... les apparences trompeuses.

Petite analyse critique

La nuit, tous les loups sont gris est un vrai roman d'enquête avec doutes, soupçons et fausses pistes, rebondissements et morts mystérieuses.

C'est sans doute également un roman politique. Staalesen revient sur une période trouble de l'histoire de la Norvège, celle de la collaboration du régime Quisling avec les nazis. Comme dans d'autres pays occupés, des Norvégiens s'engagèrent pour l'un et l'autre bord, employant contre le camp opposé des méthodes plutôt sommaires et expéditives. Ce que devinrent les uns et les autres après la fin de la Guerre constitue l'arrière-plan de cette excellente histoire.

Ce qui continue cependant d'intéresser Gunnar Staalesen, c'est l'état actuel du monde dans lequel il vit. La partie la plus visible de sa critique reste ici la moralité des milieux économiques et d'affaires, déjà fortement mise en cause dans ses précédents romans. De la bourgeoisie locale organisant trafic de drogue ou prostitution (Le loup dans la bergerie) à cet armateur milliardaire dont la fortune repose sur des magouilles et la mort d'innocents, en passant par l'entrepreneur détournant le bien public (La Belle dormit cent ans), Varg Veum constate que cette richesse et la fierté locale ou nationale qui l'accompagne semblent ne prospérer que sur le mensonge, l'escroquerie et/ou le crime. Elle a en tout cas toujours pour corollaire la misère et la marginalisation des plus faibles.

Ce qui fait tout le sel de la démonstration de La nuit, tous les loups sont gris est que rien n'aurait été possible sans la collusion entre le nazi Ullven et l'irréprochable héros de la Résistance et politicien social-démocrate Fanebust. La détestable diarrhée verbale finale d'Ullven - celle-ci faisant écho aux vraies et mortelles diarrhées provoquées par son cancer, et ce n'est sans doute pas un hasard - nous rappelle toutefois que ce rapprochement entre les ennemis d'hier ne s'est fait que par la démission du seul "héros" et de ses valeurs, l'ancien nervi nazi n'ayant rien cédé de ce qui fonda son action et sa haine. Dans une Scandinavie qui reste encore aujourd'hui un sanctuaire pour les suprématistes blancs, le rappel du cynisme et de l'inconscience de ces "élites politiques", s'enrichissant sur la misère d'autrui est salutaire. La nuit tous les loups sont gris est simplement passionnant et vertigineux.

Staalesen nous offre une autre vision du polar scandinave. Le parallèle avec Wallander est tentant. Entre Staalesen et Mankell, il y a une vision commune des sociétés scandinaves. Celle d'un décadence de « l'État-providence », de la chute de valeurs de solidarité qui ont rendu ces sociétés plus enviables à nos yeux. Mais en même temps, les deux héros incarnent des valeurs différentes. Veum est un loup solitaire, il enquête seul. Il cherche à comprendre. Il agit parce qu'il est touché à titre personnel. Sans son amitié avec Nymark, il ne se serait jamais intéressé à Ullven. Wallander est un « vieux chien solitaire », mais dans sa vie personnel. Comme flic, il ne sépare jamais (sauf dans le « Chiens de Riga ») de son équipe. Il est au service de la police. Ses réflexions sur la société, la condition humaine, sont moins profondes que celle de Veum. Au fond, il se borne à regretter des valeurs d'antan qui n'ont peut-être jamais existé.

Cependant Mankell et Staalesen nous offrent de la Scandinavie une image bien éloignée du paradis social-démocrate. Leurs deux héros dépressifs au dernier degré nous ferait presque croire que le « dyser », cette humeur mélancolique, voire sombre n'est pas qu'une invention des Européens du sud.