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28 décembre 2004 | Mort de Susan Sontag

Publié le 28 décembre 2010 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

  Le 28 décembre 2004 meurt à New York Susan Sontag. Elle décède des suites d'un cancer, une maladie sur laquelle elle s’était particulièrement interrogée, tout comme sur la tuberculose. « La maladie est la zone d'ombre de la vie, un territoire auquel il coûte cher d'appartenir », écrit-elle dans La Maladie comme métaphore.

  Passionnée de photographie, Susan Sontag est aussi l'auteure d’un remarquable essai intitulé Sur la photographie. Sontag_1
Susan Sontag
Image, G.AdC

SUR LA PHOTOGRAPHIE
(extrait)

  Les photographes américains, comme les écrivains, posent l’existence de quelque chose d’ineffable dans la réalité nationale : quelque chose, peut-être, qui n’a jamais été vu auparavant. Voici comment Jack Kerouac commence son introduction au livre de Robert Franck, The Americans : « Ce sentiment fou que l’on ressent en Amérique quand le soleil brûle les rues et que la musique parvient d’un juke-box ou d'un enterrement qui passe à côté, voilà ce que Robert Franck a réussi à saisir tandis qu’il sillonnait les routes de près de quarante-huit États à bord d’une vieille voiture d'occasion (et grâce à une bourse de la fondation Guggenheim) et qu’avec l’agilité, le mystère, le génie, la tristesse et l’étrange discrétion d’une ombre, il photographiait des scènes qu’on n’avait jamais vues sur pellicule... Après avoir vu ces photos, on finit par ne plus savoir si un juke-box est plus triste qu’un cercueil. » Tout inventaire de l’Amérique est inévitablement anti-scientifique, pêle-mêle délirant et « abracadabrant » d'objets, dans lequel le juke-box ressemble au cercueil. Du moins James réussissait-il à énoncer, non sans aigreur, que « cet effet particulier de l’échelle des choses est le seul qui, d’un bout à l'autre du pays, ne soit pas directement contraire à la joie ». Pour Kerouac, pour la grande tradition de la photographie américaine, le climat dominant est la tristesse. Bien que les photographes prétendent, de façon rituelle, qu'ils laissent aller leur regard au petit bonheur, sans idée préconçue, qu’ils tombent sur leurs sujets par hasard, qu'ils les fixent sans émotion, il y a derrière cette façade une funèbre vision de perte.
  Pour exprimer cette perte avec efficacité, la photographie doit continuellement ajouter de nouvelles images à l’iconographie familière du mystère, de la condition mortelle, de la contingence. Ce sont des fantômes plus traditionnels qui sont convoqués par certains photographes américains des générations précédentes, comme Clarence John Laughlin qui se déclarait partisan du « romantisme extrême » et qui commença au milieu des années trente à photographier des maisons de planteurs en ruine dans le sud du Mississipi, des monuments funéraires dans les cimetières marécageux de la Louisiane, des intérieurs victoriens de Milwaukee et de Chicago ; mais la méthode fonctionne tout aussi bien avec des sujets qui ne sont pas aussi conventionnellement passéistes, comme c’est le cas avec une photo intitulée « Le Spectre de Coca-Cola », qu'il fit en 1962. Outre la vision romantique (extrême ou pas) qu'elle offre du passé, la photographie offre en plus une vision romantique instantanée du présent. En Amérique, le photographe n'est pas seulement celui qui fixe le passé, c'est aussi celui qui l’invente. Selon les termes de Berenice Abbott, « le photographe est l’être contemporain par excellence, à travers son regard, le maintenant devient du passé. »

Susan Sontag, Objets mélancoliques in Sur la photographie, Christian Bourgois Éditeur, 2000, pp. 88-89.


■ Susan Sontag
sur Terres de femmes

→ 29 avril 1909 | 13e Salon international de la photographie à Paris (d’autres extraits de Sur la photographie)
→ (dans la galerie Visages de femmes) La Maladie comme métaphore (extrait)



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