Bordier Laurent, catégorie Auteur sur Major company.
Vous pouvez venir m'encourager ou me détester (dans les règles de la politesse, sûr...)
Voici LE REFLEXE DE GERALD
Une histoire qui finira dans un bain de sang, bien sûr...
Nous avons tous, en cas de journée harassante, une façon de nous libérer. Pour certains, c'est le yoga, pour d'autres, le judo, mais pour Gérald, ayant des troubles obsessionnels compulsifs, c'est la masturbation. (De plus, car c'est une thérapie de fin de journée surtout).
Il est vrai que quand on a subi les odeurs citronnées d'aisselles coulantes de sueur dans l'autobus dès 7 h 30 du matin, puis, que, le soir, notre chien nous fait lever trois fois du canapé pour sortir faire semblant de pisser par un moins dix degrés dehors, on a comme des bouffées de chaleur et l'envie "d'embraser" fort la terre sur la bouche. Gérald, non, il se masturbe tout simplement, comme un réflexe, une vengeance peut-être.
- N'ayez pas honte de vos TOC, Gérald ! Lui rabâchent psychiatres et psychologues.
Mais Gérald n'a pas honte, il n'a pas comme certains le nez en trompette ! ! Ou bien un strabisme divergent qui, pour pouvoir regarder droit devant soi demanderait de se positionner de travers ! Ou pour finir encore, un bec de lièvre où l'écharpe serait de mise, et cela... même au beau milieu d'un mois d'Août.
DISORDER ACTE I
On ne peut qualifier l'enfance de Gérald comme « difficile » ; il a juste un père qui boit pour oublier sa femme qui, elle, travaille dans un pressing afin de les faire vivre tous les deux. C'est d'ailleurs celle-ci qui découvre ses troubles obsessionnels dès l’enfance en le surprenant un matin dans la salle de bain, ouvrir puis fermer le robinet des dizaines de fois ; faire un tour sur lui-même, se frotter le dos contre le radiateur électrique, puis vérifier une bonne fois pour toutes que le robinet soit bien serré.
— Gérald ! Tu vas être en retard au collège ! Active-toi !
— J’arrive, maman. Il éteint la lumière de la salle de bain et avant d’en sortir définitivement ; fait une espèce de - moonwalk- sur le tapis à la manière d’un chat grattant sa litière et apparaît enfin dans le couloir équipé d’un large sourire destiné à Maryse, sa mère :
— Je suis prêt ! Et c’est avec le teint frais, rosé, qu’il va embrasser son père qui à cette heure a étrangement le même teint que lui.
Sur la route qui les emmène à l’école, Maryse fonce avec sa voiture, grille quelques feux oranges, culpabilise un moment, puis déculpabilise aussitôt à voix haute avec une phrase diablement efficace :
– Il n'y a personne ici ! Je ne sais pas pourquoi ils ont mis des feux tricolores...puis elle jette un coup d’œil dans le rétroviseur intérieur et ajoute – Gérald ! Tu as pris les donuts du frigo ? Et lorsqu'ils arrivent enfin au collège, le surveillant, monsieur Mouillot, s'apprête à fermer les grilles:
– Il est huit heures cinq Madame Dereflexe !
— Bisou, mon chéri, mais tu vois, tu es encore en retard à cause de tes rituels !
Maryse repart quand Gérald disparaît entièrement de son champ de vision, d'ailleurs, c'est le préau qui l'envoie dans les starting-blocks car sa journée est loin d'être finie. L'ouverture du pressing pour lequel elle travaille se fait à neuf heures trente, mais l'impatience et le grondement des clients se font déjà entendre lorsqu'ils constatent qu'à neuf heures vingt, sa voiture n'est toujours pas garée sur le parking.
Inquiète à propos des rituels de son fils, elle interpelle Paul, son mari qui à huit heures vingt-cinq, s'est armé de la télécommande TV.
— Paul, je peux te parler cinq minutes ?
— Mouais, j’t’écoute.
— Ton fils a des TOC.
— Des Locks ? Des cheveux en trop tu veux dire ou bien des TICS ?
— Non, Paul ! Tu es sourdingue ou quoi, DES TOC ! des troubles obsessionnels, des attitudes étranges, il peut se gratter le dos sur le tapis, vérifier le robinet dix fois, ranger vingt fois ses chaussettes… Avoue que c’est anormal, Paul, chez un enfant de douze ans.
— Aaah...mouais… Et ceux qui se grattent les couilles devant un match de foot, tu appelles ça comment, Maryse ? Des tics ou des TOC ?
Dépitée, elle téléphonera à sa mère, mais la pauvre vieille comprendra « des cloques » et lui conseillera au bout du fil :
- Change-lui ses souliers à ce pauvre petit !
Maryse comprend alors qu’une chape de béton la sépare de sa famille. Dans ses relations de voisinage, les "on-dit" parlent d'une femme courageuse et le "qu'en-dira-t-on" d'une famille au quotient intellectuel global tellement moyen que Dieu, parait-il, ( mais ce sont des on-dit ) aurait préféré le faire niveler définitivement vers le bas afin d'éviter trop de remous dans le quartier par de nouveaux commérages. Gérald et sa mère sont seuls désormais...quant à Paul, il reflète plus :
le courage, à demain...
Au collège, Gérald ne fait pas partie des cancres. C'est un élève trés moyen et ce sont les mathématiques qui rehaussent ses notes de bulletins pour le faire sortir de ce qu'un professeur appellerait « une année médiocre ». Calculer, c'est un plaisir chez lui, Il adore ça et s'il n'avait pas « Les bandes-dessinée Marvel » comme passion unique ; les mathématiques auraient pris le relais depuis longtemps. Combiner les nombres, calculer de tête, il est champion. Il y a de très bons élèves de mathématiques, connaissant les divisions à virgules, et Gérald, les calculant de tête, d'ailleurs, son professeur Mademoiselle Sidonie, ne cesse de le féliciter.
Lors de la pause de dix ou de quinze heures, Gérald ne peut s'empêcher de tirer sèchement sur les cheveux des filles venant à sa portée ; est-ce un TOC ? Difficile à dire, mais quand le surveillant monsieur Mouillot (ou « Mouillette », comme les élèves aiment le surnommer) l’attrape par le bras pour une simple réprimande, Gérald se replie en boule et se met à compter les gravillons tout autour de lui. C’est simple, "Mouillette" ne surveille plus les élèves en général, mais il épie Gérald, et cela, pendant les durées complètes de récréations. Les ballons de football et de basket peuvent passer par-dessus le grillage de l’école, les élèves, grimper par-dessus le portail du collège pour courir à la boulangerie ou bien au marché afin d'y acheter des pétards, il ne les voit plus. L’obsession troublante de ce surveillant, est : Gérald et ses troubles obsessionnels.
Les convocations de la directrice sont de plus en plus fréquentes. Maryse, perdue et impuissante face à la maladie de Gérald ne peut qu’excuser son attitude et promettre qu’elle lui en parlera le soir même. Maintenant, le matin, elle lui demande de laisser la porte de la salle de bain ouverte et lui donne un timing de dix minutes pour se préparer. Ca fonctionne un temps...puis de dix à quinze minutes passent encore...jusqu'au jour où Maryse, excédée que son fils ne soit pas encore sorti de la salle de bain au bout d'une demi-heure, ouvre brusquement la porte et le surprend en train de symétriser brosses à dents et savons avec les rainures faïencées du dessus de l’évier.
Suite à des courriers de parents concernant des conflits récurrents entre Gérald et d'autres élèves, dont quelques filles absentes et traumatisées de devoir de nouveau lui faire face ; l’affaire s’avère plus grave et la directrice convoque Maryse Deréflexe à son bureau :
- Votre fils nous inquiète, Madame, il se trouve qu’il est violent avec les autres élèves pendant les pauses. En cours, on ne l’entend pas puisqu’il navigue sous les tables ! Il passe son temps à gratter le linoléum et pour finir, son dernier bulletin est catastrophique...la seule satisfaction est qu'il excelle en mathématiques, mais je crains que ce soit insuffisant pour que l'on puisse le garde ici.
(agacée) PUIS NOUS NE POUVONS AVOIR CINQUANTE MONSIEUR MOUILLOT DANS LA COUR DU COLLÈGE ! COMPRENEZ-VOUS ?
- Monsieur Mouillot ? Demande-t-elle
- Oui...Il s'agit de notre surveillant qui m'a fait part dernièrement de plaintes de parents qui retrouvent leur enfant à dix heures du matin à errer dans le quartier ou à flâner dans le square. Je vais être honnête avec vous : je ne peux plus garder votre fils dans notre école, je vous laisse donc le temps de lui trouver un centre adapté à son handicap.
Maryse a un frisson de peur et toussote timidement comme pour rejeter ce mot qu'elle vient d'entendre " Handicap". C'est alors que monsieur Mouillot, en sueur, surgit avec un ballon de basket dans le bureau et fixe la directrice d'un regard haineux :
* - Et un ballon de basket, un ! Je craque là, je craque ! Meeerde ! Elle le dédaigne du regard, garde son calme et dit à Maryse :
* - Voilà, Voilà... la balle est dans votre camp, Madame Deréflexe ! Le surveillant n’a pas l'air d’apprécier l'humour de sa supérieure, et c'est agacé qu'il ouvre une armoire puis tente de trouver une place parmi les autres éléments confisqués. Il enfonce le ballon dans le fond d'une étagère libre, mais maladroitement en fait tomber quatre au sol
– QUI A FOUTU CES BALLONS EN BORDEL ! La directrice réplique aussitôt :
- Celui qui a les clés de cette armoire... Vexé, il sort en claquant la porte. Maryse se pose alors la question si ce n’est pas lui le handicap de son fils.
Gérald a un seul ami. Jean-Pierre. Ils se connaissent déjà bien puisqu'ils sont voisins et il n'est pas rare de les voir s'échanger leurs devoirs après le collège. L'un s'occupe des mathématiques tandis que l'autre s'affaire à décrypter les règles grammaticales. C'est assez bien organisé et tout cela se fait dans la chambre de Gérald, autour de donuts et de verres de jus d'orange. Nous avons le sage et le vaudou. Pendant que Jean-Pierre termine ses corrections et râle à propos des recherches de noms de capitales et de désert de pays inconnus ; Gérald gratte de son index l'étiquette de la bouteille de jus d'orange.
- Capitale du Mali...Bamako...Les Maliens...Tu fais quoi Gérald ?
- Je symétrise ma boîte à paires de chaussettes contre l'armoire, pourquoi ? Puis il se met à ouvrir la porte de son armoire à glace douze fois puis vingt-quatre et s'il a l'impression d'avoir bâclé une fermeture ; en guise de punition, il la fera grincer quarante-huit fois ! Au bout de quatre-vingt-seize va-et-viens, le calme reviendra dans la chambre des garçons.
Jean-Pierre ne fait plus attention aux TOC de son ami et ça le fait même plutôt rire, surtout quand il pratique le moonwalk - dorsal sur la moquette de la chambre.
- Tu fais Jackson Gérald ?
- Oui, je me fais gratter le dos en même temps !
*
- La moquette de te brûle pas ?
*
*
- Non...enfin si, mais il faut que je fasse ce mouvement 48 fois !
- 48 ? c'est de la folie ! Pour quelle raison tu dois te gratter le dos 48 fois ?
- Parce que sinon, tu risques de mourir en sortant de la chambre...
- Ah ? Je viens t'aider ! J'ai pas envie de mourir 48 fois !
Alors, Jean-Pierre, hilare, lâche son cahier et vient faire des mouvements de hip-hop avec lui sur la moquette. Ça dure quelques minutes jusqu’à ce que Gérald prenne son livre de mathématique puis se mette à diviser, additionner, multiplier...il soliloque pendant trois ou quatre minutes les yeux rivés sur une feuille de papier, puis, une fois terminé, jette nonchalamment l'ensemble sur son lit et s'écrie « trop facile ! «. Il ne se sert pas des chiffres impairs, ça l’angoisse, alors, il a mis au point un système. Il l’appelle « sa clé ». Cette clé mélange alphabet pour les impairs et chiffres pour les pairs.
Maryse retire définitivement Gérald de l’école et l’emmène avec elle plier les costumes au pressing. Elle demande aussi à Mademoiselle Sidonie de lui donner des cours particuliers le week-end. Le professeur accepte et lui pose même quelques devoirs dans la boîte aux lettres en semaine. Gérald peut rester des heures dans la salle de bain à placer symétriquement serviettes et gants de toilette dans le meuble. il vit toujours par nombres pairs et a dégoté un nouveau jeu bien triste qui lui prend un peu plus de temps le matin :
Il descend l’escalier de sa chambre menant au salon, puis, remonte quatre marches et enfin compte sur la rampe d’escalier :
- o, 2, s, 4
- Puis décompte :
- 4, d, 2, a, et enfin, il saute les trois dernières marches sans les toucher.
Gérald avoue à sa mère que le fait de les éviter, cela prouvera son innocence. Elle ne comprend pas et décide de l'emmener en visite chez leur médecin généraliste. Celui-ci la rassure et lui propose de consulter le Docteur Peaches ; pédo-psychiatre de métier, il saura redonner confiance à Gérald, car le problème est bien là : ce garçon n'a pas confiance en lui ! Il ajoute enfin - L'accent Bristish de ce Docteur plaît beaucoup aux enfants ! Il est très amusant vous verrez ! Mais Maryse n'a plus envie de rire et encore moins de s'amuser. - Et Concernant son dos couvert de brûlures ? - un coup de mercurochrome suffira Madame Deréflexe !
*
Ce que l’on remarque au premier coup d’œil dans le cabinet du Docteur Peaches, c’est le désordre, un Yorkshire décoiffé et une odeur de pieds épouvantable. Gérald ouvre et ferme six fois un paquet de post-it jaune se trouvant sur le bureau, puis Maryse pose un mouchoir sur son nez et implore intérieurement la visite d'une bombe désodorisante aux cinq parfums qui la délivrerait à jamais de ce lieu où l'on a l'impression qu'il y siégea mille chiens mouillés. Le Docteur se frotte le menton, fixe Gérald et lui demande :
*
- Ok, well...Hmm...Gérald, alors... pour le désordre sur mon bureau, ça ne te dérange pas j’espère, Hmm...ce désordre ?
L'enfant ne répond pas et jette un coup d’œil sous celui-ci. Il comprend alors d'où vient cette épouvantable odeur de pieds. Il se baisse sous le bureau et s'exprime violemment en arrachant une des paires de clochettes en cuir appartenant aux de mocassins du Docteur. Très professionnel, celui-ci se baisse à son tour puis imite l'enfant en feintant d'arracher la seconde paire. Tous deux sont face à face maintenant et Maryse fixe la grande aiguille faisant de longs cercles dans la pendule accrochée au mur du cabinet. Elle souffle d'ennui et sort discrètement la carte bleue de son sac à main, espérant faire accélérer cette thérapie étrange et stupide à la fois.
Tous deux sont face à face sous le bureau maintenant :
*
- Gérald ? Pourquoi as-tu arraché ces petites clochettes en cuir ?
*
- C’est une voix dans ma tête qui m’a dit de le faire.
*
- Well…well well, bien...Tu peux rasseoir sur le chaise.
- En se relevant, le Docteur se cogne la tête dans l’angle du bureau. Cela fait rire le garçon. Sa mère lui jette alors un regard houspilleur ; vexé un moment, Gérald finit par se relever lui aussi, mais se venge de ce blâme en arrachant une touffe de poils à ce pauvre Yorkshire qui, croyant à un jeu, était venu les rejoindre sous le bureau.
*
Gérald ! Laisse ce chien en paix !
*
Mais...Il m'a léché la poire !
Le York couine un moment et part dans le coin de la pièce sous le regard inquiet de son maître.
- Gérald, a-t-il des phobies Madame Deréflexe ?
- Non… des manies, rituels, il compte par paires, saute des marches pour ne pas mourir…est violent envers ses camarades parfois...
Le docteur conclu que son fils souffrirait peut-être de pensées intrusives, le poussant à la violence physique et verbale alors il claque dans ses mains et motive le garçon :
* - OK, Gérald, Never too late ! On va t’aider à débarrasser de le petit' manie !
* Puis il s 'approche et lui caresse les cheveux. Gérald acquiesce l'ensemble de son discours d'un hochement de tête puis gratte six fois sa blouse blanche.
Le Docteur Peaches annonce à Maryse qu’il ne facturerait pas sa paire de mocassins et que la consultation lui coûterait soixante euros. Elle lui rétorque qu’elle ne lui facturerait pas non plus le malaise qui avait failli lui prendre en respirant l’odeur de ses pieds. Prenant Gérald par la main, elle règle le docteur par carte bleue et lui conseille quand même de prendre un bain d’acide borique.
Sur les conseils de divers médecin, mais surtout grâce à l'aide d'internet et de témoignages de parents vivant le même problème avec leurs enfants ; Maryse propose à Gérald de l’emmener dans un centre spécialisé où il sera soigné par de vrais spécialistes. Elle en parle vaguement à Paul qui abandonnera les recherches lorsque son cerveau tentera d'analyser le terme cognitif, puis approuvera l'ensemble d'un « si ça peut l' aider, tant mieux...sinon tant pis.» et clôturera avec « si c'est l'toubib qui l'dit...bah...y a plus qu'a faire...