Huit à dix semaines d'attente, c'est long, quand une Anaïs hésitante et tergiversante s'est enfin décidée à investir ses deniers dans un canapé et des fauteuils.
Très long.
Et la patience est la seule qualité dont je suis dépourvue (qui a dit « et la modestie Anaïs, et la modestie » ?)
Et puis finalement, occupée par d’autres projets (dont je vous parle en long et en large très bientôt), je ne vois pas le temps passé.
Après huit semaines, je passe un chtit coup de fil pour avoir des news de mon futur salon. Le canapé est là, mais pas les fauteuils. Ben oui, passque moi je me la joue Europe : canapé made in Italy, fauteuils made in Germany. Keske ça en jette hein. Je me vois déjà, quand j’aurai de la visite « vous préférez poser votre postérieur en Italie ou en Allemagne ? » Et puis, après des ébats hot hot hot, me vanter d’avoir fait des choses que la morale réprouve dans toute l’Europe, moi, ma bonne Dame.
Ces fantasmes ne font cependant pas avancer le schmilblick. Le gentil Môssieur de Usico me propose de me livrer déjà le canapé, pour que j’en profite durant les fêtes. Mais je refuse, attends, je vais pas me la jouer chieuse de service qui veut tout tout de suite.
Je refuse, et je raccroche.
Puis je regrette.
J’ai envie de me la jouer chieuse.
J’ai envie de vouloir tout tout de suite.
Mais je résiste.
Et je fais bien, 48 heures plus tard, l’arrivée de fauteuil 1 et de fauteuil 2 est annoncée, la livraison aura lieu le lundi 27 décembre, trop tard pour la venue de Papa Noël dans ma cheminée, mais juste avant le passage à l’an neuf. L’an neuf sur un canapé neuf.
Arrive alors le 26 décembre.
Kwaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa ! Le 26 décembre ! Demain arrive mon salon, et le bordel ambiant n’a pas disparu avec la naissance du petit Jésus, ah que nenni. Et sous mon vieux canapé putride, qui a le malheur d’avoir un grand espace sous lui, quinze kilos de Flair de 2005 et de Ciné Revue de 2006, sans oublier les Marie-Claire et autres Cosmo. Le tout couvert d’années de poussière, of course. Derrière le canapé, mon meuble pc. Entre les deux, dix ans de poussière. Ouais, j’avoue, je ne bouge pas mes meubles quand je nettoie, une fois l’an, c’est trop épuisant. J’assume. A droite de mon canapé, les câbles de tout mon brol informatique. Dingue comme les câbles et les prises, ça attire les moutons ma bonne Dame. A gauche, rien, car c’est un lieu de passage. Ouf, la gauche est sauve.
Je passe donc deux heures à aspirer, nettoyer et récurer dix ans de vie commune, mon canapé putride et moi. Il n’est pas putride hein, il est super bien conservé pour son âgecanonix (quinze ans tout de même), d’ailleurs il part finir ses jours dans une maison d’adoption ravie de l’accueillir en son sein. Rien ne se perd dans le monde d’Anaïs Valente, tellement attachée aux choses de la vie qu’elle ne peut concevoir de les jeter, de les abandonner, de les laisser mourir seules et abandonnées.
Le lendemain, épuisée, j’attends ma livraison, qui m’est annoncée à ??? heures. Ben oui, maintenant, on ne donne plus d’heure de livraison, t’as qu’à être là, fidèle au poste. Alors je suis là, fidèle au poste. Et j’attends, en m’occupant utilement : vaisselle, aspirateur (tant qu’à faire) et rangement.
11 heures, les voilààààààààààààà.
Ils déposent jettent d’abord deux énoooormes caisses, précisent que ce sont les fauteuils. Aaaaaah, zavaient pas l’air si gros, sur catalogue, les fauteuils, pourvu qu’ils entrent dans mon mouchoir rétréci de salon. En deux minutes donc, voilà les caisses contenant les fauteuils dans un coin, l’une sur l’autre, et les messieurs repartis chercher le canapé en me précisant d’un air exaspéré « dégagez le passage ».
Oui, mais comment dégager un passage encombré par un autre canapé, deux fauteuils en caisse et une table de salon en fer forgé, lourde comme un cercueil et fragile comme un coquelicot ? Me voilà donc, en urgence, en train de pousser, tirer, déplacer et transpirer comme une bête de somme que je suis devenue en deux secondes chrono. Je vais tellement vite, stressée que je suis par les propos de mes livreurs, que j’ai tout déplacé avant qu’ils ne reviennent, ce qui leur permet de déposer jeter le canapé là où se trouvait, il y a quinze secondes à peine, mon vieux canapé d’amour, relégué au fond de la pièce.
Moi, en grande bêta devant l’éternel, je m’attends à ce qu’ils me déballent la marchandise, l’installent, vérifient avec moi que tout est conforme, que le cuir n’est pas lacéré par un tigre qui aurait fait le voyage par erreur depuis l’Italie, que le matos n’est pas, par erreur, mauve au lieu de noir (quoique, ça aurait été assorti à mon blog) ou que les caisses ne contiennent pas des objets d’art volé aux îles Galapagos au lieu de mes deux fauteuils.
Et ben non. Ils me mettent le canapé à la verticale, approximativement à l’endroit où je compte l’installer pour les cent trente-deux années à venir et me précisent qu’ils sont là pour livrer, point barre. En d’autres termes, si je râle ils ressortent le matos, et j’aurai qu’à me démerder pour le faire rentrer. Nan, je rigole, ils sont super sympas les messieurs, juste qu’ils sont pas payés pour ça.
Alors je ne moufte pas, je signe le bon de livraison et tandis que le monsieur me précise « vous ne me devez rien », je sors ma liasse de billets de banque, telle une mère maquerelle après un samedi soir à Pigale. Et mince, dire que j’aurais pu tout avoir gratuitement, vu le bon de livraison mal rédigé. Mais j’ai les billets en main trooop taaaaaard je suis honnête comme une chrétienne qu’a pas envie de devoir aller à confesse, alors je paie mon barda, au revoir et merci.
Puis je déballe le haut de mon canapé, sans faire usage de ciseaux ou de cutter, comme indiqué. Zavez déjà essayé d’enlever du plastique épais comme une couche de Nutella sur du pain sans ciseaux ou cutter vous ? Et bien je vais vous le dire, ça représente genre 300 calories brûlées à la minute. Mais pour 500 calories à la minute, je demande le déballage du bas du canapé, avec plastique coincé entre canapé et sol. Et pour 1000 calories à la seconde, je demande le passage du canapé de la position verticale à la position horizontale, dans un espace trop étroit pour ce faire, à grands coups de « fais glisser ici », « tire par là », « pousse, mais pousse, ça va arracher ton mur », « allez, encore un petit effort, tu peux le faire ». Merci la méthode Coué, j’ai pu le faire.
Je sors ensuite les fauteuils de leurs caisses, et je les installe.
Puis j’admire le résultat.
J’aime.
Je teste alors illico le canapé, avec une phase de repos bien méritée, avant que la famille d’adoption de mon ancien canapé chéri n’arrive.
Et c’est là que je réalise ma bêtise (qui a dit « seulement là ? », que je lui fiche ma … dans la …).
Une fois tout installée, mon vieux canapé est à l’arrière. Et pour le faire passer à l’avant, soit par où il va sortir pour rejoindre ses nouveaux maîtres, ben y’a pas la place. Nan, y’a pas la place. Le nouveau canapé prend toute la place. A moins d’être Benoît Brisefer et de porter le canapé avec l’annulaire, à un mètre cinquante du sol, pour le faire passer d’un côté à l’autre de la pièce, j’ai qu’une solution : tout rebouger.
Je déplace donc les fauteuils vers l’arrière, la table loooooourde vers le côté, le canapé neuf vers la table. Je m’asperge le visage d’eau fraîche.
Ça passe toujours pas. Je change le sens de la table, pousse encore le nouveau canapé (pitié, que la table en fer forgé n’arrache pas le cuir, pitié pitié), je pousse encore, je fais glisser. Je mange une barre multivitaminée.
Ça passe toujours pas. Je déplace à nouveau la table et le canapé et enfin, j’entrevois une brèche : ça va passer. Je fais le petit chien pour oxygéner mon organisme.
Et ça passe.
Le vieux canapé est du bon côté… mais il m’empêche d’ouvrir la porte d’entrée. Ou de sortie. C’est selon. Bref la porte par laquelle il va sortir. La porte par laquelle sa famille va entrer.
C’est problématique.
Je remets donc le nouveau canapé à sa place, je tire encore un peu la table, je sue de grosses gouttes, je jure comme un charretier, je fais glisser le vieux canapé et voilà, la porte peut s’ouvrir.
Je bois deux litres d’eau, faut s’hydrater quand on fait un marathon mobilier.
Tout est prêt.
La famille arrive. Nous sortons le canapé et le faisons entrer, ô miracle, dans le coffre de la voiture. Un millimètre plus haut, il passait pas, l’ex-canapé de ma vie. Mais le miracle de Noël s’est produit, et mon ex canapé part vers sa nouvelle vie.
Et moi, suante et puante, je réinstalle mes fauteuils et j’admire le résultat.
Je vous le disais hier, c'est tout choli maintenant que j'ai tout installé. Et tant pis si je sens plus mes bras. Ni mes jambes. Ni mes avant-bras. Ni mes mains. Ni chacun de mes doigts. Ni mon pauvre dos. Tant pis si j'ai 80 ans, vu que c'est tout choli.
Photos… (A l'arrière, ex canapé de ma vie)