Après quelques menues courses en prévision de la longue journée qui m'attendait, je m'isolai dans ma chambre d'hôtel pour lire la traduction :
Le ciel (passage manquant) pour inviter les convives. Ceux-ci refusèrent de venir. Il envoya alors d'autres domestiques avec ces instructions : dire de sa part qu'il avait préparé lui-même le dîner, qu'il avait fait abattre les bœufs et que tout était prêt (mots effacés). Mais les invités ne s'en préoccupèrent pas, ils poursuivirent leurs travaux et certains allèrent même jusqu'à tuer les domestiques après les avoir malmenés. Le roi, en colère, extermina les meurtriers en envoyant son armée et brûla leur village. Il dit alors à ses domestiques : " (début de phrase manquant) les invités n'en n'ont pas été dignes. Allez donc par la ville et appelez tous les gens que vous trouverez ". Les domestiques obéirent aux ordres et revinrent avec tous ceux qu'ils rencontrèrent (long passage manquant). "Attachez-le et jetez-le dans le noir extérieur : c'est là qu'il va y avoir des pleurs et des bruits de dents. Il y a beaucoup (fin absente) ".
Le papyrus, malheureusement endommagé dans sa partie basse, avait perdu plusieurs extraits. Grâce au travail de Saïd, quelques phrases avaient pu être reconstituées malgré la déchirure. Cependant, je restai perplexe quant à la signification de cette narration. Elle ne ressemblait à aucun texte funéraire que je connaissais. Le dessin, de facture classique, n'apportait aucun élément d'explication. L'homme, le défunt vraisemblablement, qui se tenait debout dans une barque, ne portait aucun signe distinctif. Les eaux, qui fourmillaient de poissons, des poissons Inet
pour la plupart, n'abritaient ni le serpent Apophis ni l' oxyrhynque maudit. Aucun dieu ou déesse, enfin, n'était représenté.
Je rejoignis mes compagnons pour dîner. Ne sachant toujours pas comment préserver mon anonymat lors des mois à venir, je tâchai de dissimuler mon anxiété, croissante. À la fin du repas, le maître d'hôtel nous apporta le thé. Bien malgré lui, il m'offrit de son œil suspicieux la clef des champs : je me déguiserai en homme ! Mes déplacements n'en seront que plus aisés, et je doute qu'ainsi affublée, ils me retrouvent un jour. En outre, je dois avouer qu'à l'idée de me travestir à nouveau, et pour longtemps cette fois, je jubilai. Vivre dans la peau d'un homme dans un monde d'hommes, quelle formidable et distrayante aventure ! Comme j'ai hâte de retrouver cette liberté qui m'a tant ravie la première fois, et d'avoir le plaisir de transgresser les innombrables interdits dévolus à notre sexe, surtout dans les contrées d'Afrique du Nord !
Je fus dès lors de la meilleure compagnie, riant aux plaisanteries de mes compagnons, les complimentant sur leurs prouesses d'antan, les consultant sur leurs expériences et m'enquérant de la bonne santé de leur famille. En les quittant, je me sentis étrangement triste. Sans doute ne les reverrai-je jamais, et même s'ils appartiennent aux pires crapules que la terre connaisse, ils partagent ma vie depuis de longs mois. Nous avons vécu tant d'événements ensemble ! Louis, que j'avais considéré comme un parent, me manquerait certainement plus que tous. Son caractère enjoué et attentionné, l'étendu de son savoir, sa gentillesse et sa courtoisie, tout ce que j'aimais tant en lui !... En regagnant ma chambre, je réalisai que mon adieu allait être pour le moins brutal, qu'ils ne comprendraient pas pourquoi j'étais partie si précipitamment. Sans doute mettraient-ils mon attitude sur le compte de la sensibilité féminine. Pourtant, c'était eux qui m'avaient abandonnée, non le contraire. Ils s'étaient séparés de moi le jour où ils avaient pris la décision de m'évincer de leurs manigances sans renoncer pour autant à mes bons offices, abusant inconsidérément de ma crédulité et de mon dévouement.
L'égyptologue parviendra-t-elle à s'enfuir ? Suite au prochain épisode.