Il était une fois
Dans un pays tout gris
Où la réalité naissait des rêves
Et où le soleil n’existait pas encore
Et où les rêves autres que gris étaient interdits,
Dans ce pays tout froid où régnait un empereur qui avait pour nom Arac le Gris,
Une petite fille qui rêvait.
Et ses rêves étaient tellement brillants
Qu’un jour, elle avait même imaginé le soleil.
Comme il était beau
Comme il était chaud,
Comme il était lumineux
Comme il était généreux.
Elle avait senti son âme fleurir et un parfum s’envoler
Qui faisait naître la joie et le sourire autour d’elle
Mais dans ce pays si gris
La petite fille, avec ses rêves de lumière, fut vite repérée.
Elle fut traquée par l’armée d’Arac le Gris
Qui la poursuivit sans relâche, de jour comme de nuit.
Cette armée était composée par les Aracnuages
Ces nuages-là n’avaient pas pour mission de porter de l’eau
Ils avaient pour rôle, comme des araignées, d’engluer et d’engourdir
Tous ceux qui enfreignaient la loi en imaginant autre chose que du gris
Le risque que représentait la petite hors la loi était immense
Pensez donc
Si ceux qui avaient vu le soleil au travers de son rêve
Se mettaient à en rêver aussi, le gris risquait de disparaître
Et ça l’empereur Arac le Gris ne pouvait le tolérer.
Le gris c’était sa raison d’être, il en tirait tout son pouvoir.
La traque fut terrible.
L’enfant tenta bien de leur échapper
Mais on ne peut passer toute une vie à fuir
Surtout en laissant une telle traînée de lumière derrière soi
Et le jour arriva où elle fut faite prisonnière.
Ce jour-là, les quelques sourires qui avaient fleuri
Furent avalés par la poussière grise du sol et disparurent.
Tout engluée de gris, elle fut enfermée dans la tour du silence
Une tour où il faisait un froid et une humidité à tuer le plus résistant des rêves
Le désespoir suintait des murs comme une maladie incurable
Il s’écoulait sur le sol en flots de larmes gluantes et verdâtres
Et plus la petite regardait ces flots et plus elle se sentait grignotée par le néant.
À ce rythme-là, bientôt on ne la verrait plus
Ses pieds léchés par le courant avaient déjà commencé à disparaître.
Pendant ce temps, là-haut, plus haut que les nuages
Le soleil qu’elle avait créé
Pour attirer son attention, s’était mis à briller de toute la force de sa lumière
Il avait tenté de percer les nuages
Mais il craignait, lui qui faisait naître la vie,
Lui qui nourrissait l’espoir
Que ses efforts soient vains
Il avait beau rêver la petite fille
Le soleil ne se voit que si l’on se décide à le rêver à son tour
Il ne pouvait plus qu’espérer ce miracle.
Mais la petite prisonnière ne pensait plus à rien
Elle ne voyait ni ne rêvait plus rien
Elle l’avait oublié
Ensorcelée par les flots maléfiques, elle n’était plus que l’ombre de son ombre.
L’histoire aurait pu s’arrêter là
Le soleil d’un côté et la petite fille de l’autre
Séparés par cet horizon de nuages gris et sans âme…
Mais le soleil qui persistait à rêver la petite fille dans la lumière
Aperçut un jour un éclat de mica sur le rebord de la fenêtre
Tout en haut de la tour où elle se morfondait
Alors, en une ultime tentative, il y projeta un fin rayon de sa lumière
Ce rayon était si fin qu’il réussit, sans être repéré, à traverser les nuages.
Il était si fort, si concentré qu’il put traverser les ténèbres de la tour
Et dessiller les paupières closes de l’enfant
Alors il pénétra jusqu’au fond de son âme et réveilla son esprit endormi.
Elle ouvrit les yeux
Tout le gris disparu
Et les murs, et la tour, et le fleuve avec.
Il n’y avait plus que le soleil
Du soleil partout
Il n’y avait plus que de la joie
Il n’y avait plus rien que ce feu dévorant
Cet infini éblouissant où elle se savait enfin chez elle.
Alors le soleil murmura à l’oreille de son cœur :
« Ici tu es chez toi
Tu n’es pas du monde du gris
Rêve-moi comme je te rêve
Mange-moi comme je te mange
Je te mange et tu es moi
Tu me manges et je suis toi
Et pour ne pas m’oublier parle-moi
Quand tu me parles ma force est agissante
Je construis le monde en le rêvant
Je le rêve et je le dévore
Tu es mon rêve
Je suis ton rêve,
Fais de moi ton unique rêve
Parle-moi, ainsi tu ne te tromperas plus de monde
Je suis le rêve qu’il te faut manger pour que ton monde se réalise. »
Alors la petite fille s’était levée
Et parlant à son rêve
Dévorant son rêve
Elle s’était mise à marcher
Et elle semblait si légère à ceux qu’elle croisait
Qu’ils se sentaient à leur tour devenir légers
Et elle semblait si lumineuse à ceux qu’elle croisait
Qu’ils se sentaient à leur tour devenir moins gris.
Le monde sur son passage prenait forme et couleur
L’herbe fit exploser tous ses tons du jaune au vert
Les feuilles des arbres en firent autant
Les fleurs prises de folies exprimèrent toutes les couleurs
Les oiseaux arrivèrent colorés comme l’arc-en-ciel
Et tout ce qui existait se mit à rayonner et à chanter.
Les aracnuages, avalés par le bleu du ciel, devinrent alors porteurs d’eau
L’eau si précieuse qui s’unit enfin au feu pour nourrir toute cette vie…
Le gris n’avait pas totalement disparu
Mais il était désormais obligé de partager avec la couleur.
Ô… C’était il y a bien longtemps
Mais ici personne n’a oublié.
Chacun se rappelle que le soleil est né du rêve d’une petite fille que le soleil avait lui-même rêvé.
Et qu’aujourd’hui encore, pour faire vivre le soleil,
Pour faire croître sa lumière,
Il faut garder à l’esprit de le rêver sans cesse, de lui parler et d’unir nos rêves à son rêve.
© Adamante
Merci à Snow pour ses superbes photos
Dessins Adamante