Il y en a qui se démènent toute une vie pour décrocher un titre. Docteur en quelque chose, président de telle compagnie, ministre de tel ministère, médaillé d'or dans telle discipline, chroniqueur de tel hebdomadaire culturel.
Il y en a qui se démènent toute une vie pour décrocher un titre. Docteur en quelque chose, président de telle compagnie, ministre de tel ministère, médaillé d'or dans telle discipline, chroniqueur de tel hebdomadaire culturel.
Dans notre société, on est quelqu'un lorsqu'on porte un titre qui a de la carrure.
Toutefois, et c'est pour le moins paradoxal, le pinacle de la distinction sociale vient lorsque le quelqu'un peut "se passer de présentation". Plus de titre, que le nom.
Prenez Pierre Bourgault. Au cours des dernières années de sa vie, il n'avait plus besoin de présentation. Pierre Bourgault était Pierre Bourgault, même qu'il était plus souvent qu'à son tour Bourgault tout court.
Et c'est son seul nom, et non pas quelque titre à gogo, qui l'autorisait à disserter sur tous les sujets ou à peu près. Et il en profitait, le Bourgault, aussi bien sur les ondes de Radio-Canada, à l'émission Indicatif Présent, que dans sa chronique du Journal de Montréal.
Remarquez, cet homme politique, écrivain, journaliste, comédien; cet "allumeur de consciences, professeur de liberté, tribun exceptionnel, indépendantiste de choc et pourfendeur d'idées", comme l'a dépeint René Homier-Roy à ses funérailles, n'était absolument pas présentable.
D'une part, se risquer à lui coller une seule étiquette aurait été réducteur. D'autre part, défiler la liste des titres qu'il pouvait revendiquer en toute légitimité était un exercice plutôt longuet. On a opté pour la simplicité. Bourgault? Pas besoin de présentation.
Puisque je suis fort jeune, c'est le Bourgault sans présentation que j'ai connu.
J'avais un peu entendu parler de lui. Comme ça. Rien d'officiel. Il faut dire que je conservais un souvenir assez flou de ses grandes années en politique. C'est peut-être dû au fait que mes parents n'étaient encore à cette époque que des préadolescents. J'écoutais de temps en temps, d'une oreille distraite, ses "tranches de vie" à Indicatif Présent. Il m'avait même fait rigoler, une fois, en racontant comment il avait adopté un kangourou en plein cœur du Plateau-Mont-Royal!
Mais bon, hormis deux ou trois anecdotes comiques et quelques bribes biographiques, j'en connaissais somme toute assez peu sur Pierre Bourgault. Et puisqu'il n'avait pas besoin de présentation, la situation avait peu de chances de s'améliorer. Résultat: je n'ai vraiment constaté l'ampleur du personnage que le jour de son décès, le 16 juin 2003. Un peu tard.
Sa disparition, hypermédiatisée, a forcé les rappels obligatoires des grands pans de sa vie. Tout à coup, Bourgault a eu droit à de vraies présentations. Et je ne pense pas me tromper en disant que bien des jeunes ont, tout comme moi, découvert l'homme qu'il a été le jour où il a cessé d'être.
Je me suis même mis à l'aimer, ce Bourgault. Amour posthume, mais amour tout de même.
J'ai aimé sa pensée libre. J'ai cherché ses écrits polémiques. En tant que journaliste, j'ai endossé son principe de "subjectivité honnête", qu'il proposait comme solution de rechange à l'utopique objectivité.
Plus de quatre ans après sa disparition, on sent encore le besoin de nous le présenter, ce libertaire jusqu'au bout de la cigarette.
Jean-François Nadeau a lancé au début de l'automne une biographie (Bourgault, Lux Éditeur) qui prouve qu'à travers la conscience d'un seul homme on peut résumer celle d'une époque.
Et cette semaine, Télé-Québec diffuse un documentaire sur sa vie. Le projet aura pris sept ans à aboutir.
Il a commencé par le désir de Bourgault, en 2000, de tourner une série sur lui-même. Il avait alors approché Franco Nuovo pour l'aider. À sa mort, trois ans plus tard, le projet a été compromis. Manuel Foglia, le fils de l'autre, finira par le reprendre et le signer. Cela donne un documentaire de 90 minutes, Paroles et liberté. Un survol de la vie de Bourgault. Un condensé de sa pensée complexe. Mais surtout, le triomphe d'un homme qui a, plus que tout, incarné la prise de parole. Un homme qui s'est servi de sa voix et du poids des mots pour défendre, en célébrant, la langue de chez nous...
Paroles et liberté - Bourgault, à Télé-Québec.
Mercredi 12 décembre, 20 h.
© Steve Proulx 2007 | Texte original paru dans Voir, 5 décembre 2007