Elle habite au bord de l'estuaire, là où l'on ne distingue plus le fleuve de l'océan. Elle s'avance vers moi comme on entre dans l'eau fraiche d'un lac en été.
Elle me sourit et le vent me semble plus chaud sur mon visage. Mon coeur ne sait plus comment il doit battre : fort pour le plaisir qui m'envahit, ou léger pour la grande douceur qu'elle installe en ce moment.
Elle vole tous mes mots d'un coup, tous ceux que j'avais prévu de lui dire. Elle prend tous mes gestes, tous ceux que je voulais dessiner sur son corps. Elle m'avale sans me détruire, elle me couvre sans me faire d'ombre aucune, elle est un mystère entier et indépassable. Elle se tient face à moi, toujours, avec dans le regard une flamme vibrante qui s'adresse à moi.
Les mouettes se taisent un instant, cessent de battre des ailes comme si elles écoutaient ce qu'elle me dit à l'oreille. Un secret d'alcôve, un murmure si sensuel, une caresse sonore si subtile, que tous mes sens se mettent à jouer une symphonie dissonnante mais si vivante que les eaux elles-mêmes s'immobilisent…
Le vent froid lui fait plisser les yeux, d'un bleu énigmatique lorsque la lumière fond dans le ciel d'hiver. Elle prend mon visage entre ses doigts fins et je sens alors tomber en moi des paquets d'enfance. Elle est toute entière dans la présence verticale et familière d'une féminité absolue. Celle qui n'exige rien et qui existe, malgré tout.