©Eva Peel
PAUL
Ah, j’oubliais, petit détail : il n’y a pas d’Internet au chalet.
FRANCOISE
Pas de problème, je lirai mes mails sur mon portable. Avec la 3G, c’est bon.
PAUL
Non, tu ne m’as pas bien compris. Rien ne capte là-bas : pas d’Internet, pas de portable, pas de 3G. Rien! C’est magnifique, non ?
FRANCOISE
Tu rigoles ?
PAUL
Non, mais rien de grave, on est là que deux, trois jours, en famille. T’en fais pas, tu resteras connectée avec des vrais friends. Imagine, tes vrais gens en chair et en os !
FRANCOISE
Ralentis, les virages me donnent la gerbe.
PAUL
Concentre-toi sur la route, ça ira mieux. Tu préfèrerais conduire peut-être ?
FRANCOISE
Non, ça va, merci. (Silence) T’as vu comme tout est blanc.
PAUL
Oui, ça donne une sensation d’infini, non ? Ah, c’est beau, la nature !
FRANCOISE
Oui, mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi dans les villages les maisons donnent toutes les unes sur les autres. Ils ont tout l’espace qu’ils veulent ici. Pourquoi ne profitent-ils pas du paysage au lieu d’un vis-à-vis sur les voisins ?
PAUL
C’est la pensée pavillonnaire.
FRANCOISE
La quoi?
PAUL
C’est construit pour espionner son voisin. Les gens ont besoin de se voir les uns les autres. C’est instinctif, c’est comme ça.
FRANCOISE
Ca me donne froid dans le dos.
PAUL
Hé, hé, ma petite, il faut sortir de sa ville !
FRANCOISE
Je sens que je vais vomir. Là, maintenant… Arrête-toi immédiatement !
Paul s’arrête sur le bas-côté. Françoise sort précipitamment et vomit. Elle s’essuie avec la neige. Elle n’a pas l’air bien.
FRANCOISE
Je suis désolée mais je ne peux pas y aller.
PAUL
Où ?
FRANCOISE
Là où Facebook n’existe pas, là où wifi ne capte pas. Je suis désolée, c’est au-dessus de mes forces.
PAUL
Françoise, ne fais pas l’enfant. On va être en retard…
FRANCOISE
Non, je reste ici. Pars, je ferai de l’auto-stop.
PAUL
Bon courage, personne ne passe ici !
FRANCOISE
Charmant ! Eh bien, moi, je rentre sur Paris. Ca me fait flipper ici. Regarde, je somatise déjà !
PAUL
Françoise, c’est de ma faute, j’ai dû conduire trop vite, je m’excuse.
FRANCOISE
Désolée, moi, je ne retourne pas dans la caverne. Je refuse d’être bloquée dans ta famille, pendant deux jours, entièrement déconnectée du monde et de MON monde, sans pouvoir prendre de nouvelles de mes spams, de la vie de mes ex, du dernier buzz avec Ingrid la marmotte, sans pouvoir updater sur mes états d’âme, me rassurer sur mon manque de confiance ou mon narcissisme, que sais-je… Non, non, désolée, je ne peux pas. Jamais sans mon Facebook, voilà ! Ca me rend folle. C’est toute ma structure psychique que tu menaces.
PAUL
Si tu continues, on va attraper la crève tous les deux !
FRANCOISE
Je m’en fous. Plutôt la mort que vivre sans Internet.
PAUL
Attention !
FRANCOISE
Quoi ?
PAUL
Là, derrière toi, un sanglier fou!
FRANCOISE
Aaaaaaah…
Françoise se retourne, rien…
FRANCOISE
T’es complètement malade !
PAUL
Pas plus que toi !
FRANCOISE
J’ai failli mourir de peur !
PAUL
C’est la technique du hoquet : une peur en chasse une autre… Alors, tu viens ? Qui sait, là-bas, peut-être pourras-tu encore envoyer quelques SMS à tes amants. Avec un peu de chance, ils viendront te sauver de la grande tour déconnectée…
Elle pleure. Il la prend dans ses bras, lui frictionne le dos.
PAUL
Pardon, mon amour, je disais n’importe quoi… Tu frémis. Viens !
FRANCOISE
Moi aussi, je m’excuse. Je ne savais pas ce que je disais…
Ils remontent tous deux dans la voiture. Paul démarre.
PAUL
J’ai hâte de te présenter mes parents, je suis sûr que tu vas les adorer.