Jamais sans mon Facebook (3ème épisode #FollowMe)

Publié le 07 janvier 2011 par Ctrltab

©Eva Peel

PAUL

Ah, j’oubliais, petit détail : il n’y a pas d’Internet au chalet.

FRANCOISE

Pas de problème, je lirai mes mails sur mon portable. Avec la 3G, c’est bon.

PAUL

Non, tu ne m’as pas bien compris. Rien ne capte là-bas : pas d’Internet, pas de portable, pas de 3G. Rien! C’est magnifique, non ?

FRANCOISE

Tu rigoles ?

PAUL

Non, mais rien de grave, on est là que deux, trois jours, en famille. T’en fais pas, tu resteras connectée avec des vrais friends. Imagine, tes vrais gens en chair et en os !

FRANCOISE

Ralentis, les virages me donnent la gerbe.

PAUL

Concentre-toi sur la route, ça ira mieux. Tu préfèrerais conduire peut-être ?

FRANCOISE

Non, ça va, merci. (Silence) T’as vu comme tout est blanc.

PAUL

Oui, ça donne une sensation d’infini, non ? Ah, c’est beau, la nature !

FRANCOISE

Oui, mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi dans les villages les maisons donnent toutes les unes sur les autres. Ils ont tout l’espace qu’ils veulent ici. Pourquoi ne profitent-ils pas du paysage au lieu d’un vis-à-vis sur les voisins ?

PAUL

C’est la pensée pavillonnaire.

FRANCOISE

La quoi?

PAUL

C’est construit pour espionner son voisin. Les gens ont besoin de se voir les uns les autres. C’est instinctif, c’est comme ça.

FRANCOISE

Ca me donne froid dans le dos.

PAUL

Hé, hé, ma petite, il faut sortir de sa ville !

FRANCOISE

Je sens que je vais vomir. Là, maintenant… Arrête-toi immédiatement !

Paul s’arrête sur le bas-côté. Françoise sort précipitamment et vomit. Elle s’essuie avec la neige. Elle n’a pas l’air bien.

FRANCOISE

Je suis désolée mais je ne peux pas y aller.

PAUL

Où ?

FRANCOISE

Là où Facebook n’existe pas, là où wifi ne capte pas. Je suis désolée, c’est au-dessus de mes forces.

PAUL

Françoise, ne fais pas l’enfant. On va être en retard…

FRANCOISE

Non, je reste ici. Pars, je ferai de l’auto-stop.

PAUL

Bon courage, personne ne passe ici !

FRANCOISE

Charmant ! Eh bien, moi, je rentre sur Paris. Ca me fait flipper ici. Regarde, je somatise déjà !

PAUL

Françoise, c’est de ma faute, j’ai dû conduire trop vite, je m’excuse.

FRANCOISE

Désolée, moi, je ne retourne pas dans la caverne. Je refuse d’être bloquée dans ta famille, pendant deux jours, entièrement déconnectée du monde et de MON monde, sans pouvoir prendre de nouvelles de mes spams, de la vie de mes ex, du dernier buzz avec Ingrid la marmotte, sans pouvoir updater sur mes états d’âme, me rassurer sur mon manque de confiance ou mon narcissisme, que sais-je… Non, non, désolée, je ne peux pas. Jamais sans mon Facebook, voilà ! Ca me rend folle. C’est toute ma structure psychique que tu menaces.

PAUL

Si tu continues, on va attraper la crève tous les deux !

FRANCOISE

Je m’en fous. Plutôt la mort que vivre sans Internet.

PAUL

Attention !

FRANCOISE

Quoi ?

PAUL

Là, derrière toi, un sanglier fou!

FRANCOISE

Aaaaaaah…

Françoise se retourne, rien…

FRANCOISE

T’es complètement malade !

PAUL

Pas plus que toi !

FRANCOISE

J’ai failli mourir de peur !

PAUL

C’est la technique du hoquet : une peur en chasse une autre… Alors, tu viens ? Qui sait, là-bas, peut-être pourras-tu encore envoyer quelques SMS à tes amants. Avec un peu de chance, ils viendront te sauver de la grande tour déconnectée…

Elle pleure. Il la prend dans ses bras, lui frictionne le dos.

PAUL

Pardon, mon amour, je disais n’importe quoi… Tu frémis. Viens !

FRANCOISE

Moi aussi, je m’excuse. Je ne savais pas ce que je disais…

Ils remontent tous deux dans la voiture. Paul démarre.

PAUL

J’ai hâte de te présenter mes parents, je suis sûr que tu vas les adorer.