Certains jours, l'actualité apporte de terribles nouvelles. C'est à ces deux jeunes hommes, assassinés au Niger que vont mes pensées. Depuis que les médias ont relaté leur enlèvement puis leur mort, je ne peux m'empêcher d'avoir l'esprit tourné vers eux. Vers ces jeunes hommes dont je me sens si proche, vers ces jeunes hommes qui ressemblaient tant à celui que je fus.
Oh, bien sûr, je vois des explications à l'évènement, j'ai une opinion. Je ne doute pas un instant que les assassins soient des agents fanatisés qui ignorent la lutte entre puissances financières dont ils sont les instruments. Au Niger, comme ailleurs en Afrique de l'ouest, les intérêts français sont attaqués par ceux qui voudraient se saisir de la vache à lait. Ni les peuples de ces pays, ni ceux qui essaient avec souvent des moyens dérisoires de les aider à avancer ne comptent pour ces machines monstrueuses qui, dans de lointains bureaux, à Paris, à New York, au Moyen-Orient ou ailleurs tirent les ficelles.
Mais ce n'est pas cela qui m'occupe aujourd'hui. Je ne peux me détacher de ces deux jeunes hommes dont la vie, à peine entamée, s'est achevée dans un désert où des armes qu'ils ignoraient certainement ont craché la mort. Ils sont mes frères, ou mes enfants. Ils étaient de chez moi, à double titre. Ils étaient du Nord, et ils avaient adopté l'Afrique. L'un était venu au mariage de son ami. L'autre allait épouser une femme d'un pays que sans nul doute il aimait, car on ne peut pas choisir une femme d'un pays si différent du sien sans d'abord porter un amour à cette terre, à ces peuples. Ils savaient, je n'en doute pas non plus, que des européens étaient la cible de groupes fanatiques. Mais ils ne pouvaient se sentir visés. Ils ont probablement été pris au hasard, victimes du délit de sale gueule qu'ils ont finalement payé de leur vie.
A un quart de siècle d'écart, j'aurais pu être à leur place. Combien de fois me suis je trouvé dans des endroits où il aurait été facile de s'emparer de moi? Certes, à l'époque, tout était calme et le risque n'existait guère. Mais s'il avait existé, aurais-je pu croire qu'il me concernait? J'entends encore l'appel lancé par celle qui devait devenir la femme de l'un d'eux « pas lui ». Non, pas lui. Il n'était pas l'un de ceux qui travaillent pour ces intérêts que les défenseurs d'autres intérêts combattent. Comme moi autrefois, il aimait le pays où il était et ne pouvait un instant imaginer être pris dans la tempête guerrière qu'il voyait au loin et dont il se croyait protégé parce qu'elle lui était étrangère.
Je ne sais si un au-delà existe. Quand je vois à quel point le fanatisme religieux est au service de certaines puissances, à quel point il est une arme parmi d'autres, j'ai du mal à croire qu'une puissance divine tolère cela. J'aimerais pourtant, quand des évènements comme celui-là se produisent, qu'il y ait quelque chose, qu'une communauté d'esprit subsiste, que mes pensées leur parviennent.
Oui, reposez mes frères, je vous aime.