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Le cercle des Indignés.

Publié le 09 janvier 2011 par Sophielucide

La deuxième décennie du nouveau siècle avait débuté avec un petit bouquin  de 24 pages d’un vieillard plus que digne qui enthousiasma tout le pays en même temps qu’était diffusé un énième sondage inepte classant ses habitants champions du monde des pessimistes.  On aimait bien se distinguer dans l’hexagone et on accueillit ces deux nouvelles avec une jubilation blasée. Indignez-vous qu’il disait et tout le monde l’avait pris au mot.

Le monde à feu et à sang n’intéressait pas vraiment ; on s’indignait surtout de ne pas être suffisamment pris en compte  dans l’échiquier de nos vies rétrécies,  via les réseaux sociaux où chacun y allait de sa cause, en un clic sur une conscience en berne.

Sur les lamelles molles d’un microscope daté, on plaçait ses mesquines préoccupations au centre des éternelles lamentations. «  Je m’indigne donc je suis », formule typiquement française et purement rhétorique s’en tenait là. Peu importait la cause, il y en avait tant, disait le patriarche et comme cette fois on se devait de saluer avant l’issue fatale l’homme auréolé de la rumeur qu’il avait participé à l’élaboration de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (excusez du peu) on ne pouvait raisonnablement  passer à côté de cette aubaine là. Alors on s’indignait comme autrefois les Shadock pompaient, à hue et à dia.

L’année se plaçait sous l’augure de débats creux et insipides annonçant une élection dont on se demandait à quoi elle pouvait bien rimer. Puisque l’ennemi avait été identifié, que l’on s’apercevait avec horreur de l’inutilité crasse des politiques face à ce monstre tentaculaire, on s’indignait.

Puisqu’on avait maintenant un auditoire, certes illusoire, on se déplaçait de mur en mur pour annoncer la bonne nouvelle : indignez-vous !  153 amis aimaient ça.

Puisqu’on ne pouvait raisonnablement admettre nos solitudes emplies d’angoisse, on propageait la bonne parole : indignez-vous !  168 amis aimaient ça.

Puisque la promesse infâme de visibilité, d’ubiquité,  d’universalité et toute autre tasse de thé semblaient à notre portée, on colportait cette parabole : indignez-vous ! 392 amis aimaient ça.

Au même moment, à un jet de pierre de nos côtes méditerranéennes,  personne ne s’indignait des massacres perpétrés contre des arabes affamés, des étudiants bâillonnés, des marchands ambulants n’ayant plus rien à vendre.  On ménageait la susceptibilité des dirigeants installés en tenant discrètement une morbide comptabilité.  Surtout, on s’en fichait royalement de ces basanés, on avait notre lot de haine ravalée.

Alors on s’indignait comme on pissait quand Brel pleurait sur les femmes infidèles…


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