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L'outrage fait à Césaire

Publié le 10 janvier 2011 par Xavierlaine081

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Le jeu est assez ignoble, d’autant qu’il se pratique dans la discrétion la plus totale.

Qu’un président de la République se déplace à la Martinique, nul ne saurait lui en contester le devoir. Mais voilà : nous ne sommes pas affublés d’un président ordinaire, un de ceux dont nous pourrions dire qu’il est, peu à peu, et même à notre pensée défendant, devenu celui de tout un pays.

Non, celui-ci est le président, élu certes par une majorité dont bon nombre ne savaient sans doute pas ce qu’ils faisaient, dans le vide démocratique abyssal où plonge notre pays, non de cette majorité même, bien que faisant fort usage de sa légitimité électorale pour imposer ses dogmes comme vérités immuables, mais d’un tout petit groupe de favoris qui, tous, émargent au CAC 40, et dont les intérêts sont surveillés de près.

Ce président là, outre ses discours insultants sur l’Afrique, avait un temps considéré et fait voter une loi sur « les effets positifs » de la colonisation. Cette prise de position, outrancière comme à l’accoutumée, lui avait valu de n’être pas reçu par Aimé Césaire, en 2005.

Le poète, en 2006, avait finalement accepté la visite du futur chef d’Etat, non sans lui faire un rappel circonstancié sur les réalités de la période coloniale.

Il savait de quoi il parlait.

Les chemins de la politique ont ceci de particulier qu’ils brillent par leur sinuosité. Pour se rattraper (mais peut-on rattraper une idéologie coloniale qui va, sans faille, à l’appauvrissement des plus faibles au profit des plus forts ?), il avait même baptisé l’aéroport du Lamentin, de son nom. Aimé n’avait pas encore quitté ce monde. L’homme sans scrupule qui préside à nos destinées, voulait se refaire une santé électorale. Tout est bon pour arriver à ses fins.

Le voilà élu. Aimé Césaire disparu en 2008 dans l’indifférence générale, malgré des obsèques nationales passées quasiment inaperçues. Son acolyte Royal avait feint de suggérer le transfert de la dépouille au Panthéon. Elle reçut une volée de bois vert et s’en tint coite.

L’engouement présidentiel pour la culture répondant d’abord à ses visées opportunistes, on se souvient que lui-même fut mis à rude épreuve lorsqu’il voulut récupérer Albert Camus au Panthéon. Tout est bon pour brouiller les cartes.

Le discours de Grenoble ? Les charters de sans papiers ? Le quasi esclavage où sont maintenus nombre de salariés sur le territoire national ? Les Roms reconduits sans ménagements aux frontières de la République ? Tout cela n’existe pas aux yeux de ce sinistre président.

Le voilà qui doit se rabibocher avec un électorat en déconfiture. C’est à la Martinique qu’il va chercher les cautions manquantes.

Aimé Césaire, le poète de la liberté et de la négritude lui sert de strapontin. Une plaque au Panthéon et le tour est joué.

L’annonce passe inaperçue. La Martinique, encore meurtrie d’un conflit social de plusieurs mois, applaudit, bien sûr, à cette reconnaissance posthume.

Dans l’ensemble on ne dit rien de cet outrage qu’un homme aux mains sales, tout président qu’il soit, fait au poète et à la poésie.

Qu’il le sache, les poètes garderont sans doute tête froide devant l’adversité des honneurs, même posthumes.

« Au bout du petit matin, l’extrême, trompeuse désolée eschare dur la blessure des eaux ; les martyrs qui ne témoignent pas ; les fleurs du sang qui se fanent et s’éparpillent dans le vent inutile comme des cris de perroquets babillards ; une vieille vie menteusement souriante, ses lèvres ouvertes d’angoisses désaffectées ; une vieille misère pourrissant sous le soleil, silencieusement ; un vieux silence crevant de pustules tièdes, 

l’affreuse inanité de notre raison d’être. 

Au bout du petit matin, sur cette plus fragile épaisseur de terre que dépasse de façon  humiliante son grandiose avenir – les volcans éclateront, l’eau nue emportera les tâches mûres du soleil et il ne restera plus qu’un bouillonnement tiède picoré d’oiseaux marins – la plage des songes et l’insensé réveil. » (Cahiers d’un retour au pays natal).

Humiliante façon de rendre les honneurs à la grandeur d’un homme, de la part d’un autre qui ne brille que par son sournois opportunisme et le cynisme cru de sa responsabilité.

C’est un outrage fait à Césaire.

Xavier Lainé

Manosque, 9 janvier 2011


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