08/01/2008 | Mise à jour : 07:45 |
Faussaires en famille ! Pendant dix-sept ans, les Greenhalgh fils, père et mère ont dupé les experts depuis leur pavillon anglais.
A ttention au décor ! Il est trompeur comme une église presbytérienne chez Hitchcock où L'Homme qui en savait trop débusque les criminels sous les psaumes. C'est dans un modeste pavillon de la banlieue de Bolton (Lancashire), semblable à tous ses pareils de The Crescent à Bromley Cross, qu'œuvraient, en famille, les Greenhalgh, à la une du Bolton News pendant des semaines. Des faussaires désormais célèbres en Angleterre.
De 1989 à 2006, Shaun, le fils timide et bedonnant de 47 ans, George, 84 ans, le père en chaise roulante et plaid écossais, Olive, 83 ans, la mère aux boucles grises de Miss Marple, ont bâti mille histoires pour écouler leurs faux par dizaines. Alerté par le British Museum, Scotland Yard a mis fin à leur industrie avec un mandat de perquisition, le 15 octobre 2006.
La fouille fut édifiante. Ils ont été condamnés en novembre dernier pour avoir vendu ou essayé de vendre quelque 45 faux d'une valeur potentielle estimée à 10 M£ ! Une liste non exhaustive peut-être trois fois plus, selon Scotland Yard pour des objets d'art trop beaux pour être vrais et qui sont désormais des pièces à charge.
Un feuilleton rocambolesque
La spécialité de ce trio de faussaires bien tranquilles était de pister les œuvres rares, peu documentées, pas photographiées et depuis longtemps portées disparues dans les volutes de l'histoire de l'art. Il y a du Sherlock Holmes dans la petite entreprise des Greenhalgh qui, en as du marketing, identifiaient les sujets parfaits, parce que oubliés, rêvés et méconnus, et donc propres à affoler les appétits des musées ou, à défaut, des maisons de ventes. Outre la «Princesse d'Amarna» qui a coûté cher au Bolton Museum, un remake du «Risley Park Lanx », mythique plateau d'argent découvert par des laboureurs dans un champ du Derbyshire en 1729 et donc la plus ancienne pièce d'orfèvrerie romaine d'Angleterre, portée disparue depuis, a failli duper le British Museum.
L'institution londonienne l'a étudiée, soupesée puis acceptée comme copie historique en cadeau gracieux de ses mécènes (98 000 £ selon l'enquête, 5 000 £ selon Shaun Greenhalgh). Ainsi Le Faune de Gauguin, «sa première céramique connue datant de l'hiver 1886» se félicitait, il y a encore un mois, The Art Institute of Chicago, l'institution américaine par excellence. Le musée l'avait fièrement acheté à un couple de marchands privés de Londres, Howie & Pillar (autour de 125 000 $ selon The Art Newspaper). Le duo au sérieux non contesté l'avait, lui, acheté à bon prix des années plus tôt chez Sotheby's à Londres avec l'assurance de le retrouver dans le Catalogue raisonné du Wildenstein Institute de Paris (20 700 £ en 1994, soit dans son estimation). L'Art Institute le commenta avec la fougue des découvreurs, faisant des analogies imprudentes entre le faune, symbole de débauche, et le fiasco conjugal de Gauguin, mauvais mari de la Danoise Mette. Il l'exposa en vedette, pendant dix ans, à ses dépens… Un faux génial, inventé d'après un croquis de Gauguin en Martinique pendant l'été 1887 et conservé dans l'Album Gauguin au Louvre, a-t-il dû reconnaître devant la presse américaine le 12 décembre. Et ce n'était pourtant qu'un ricochet du procès, le «Greenhalgh case» disent les Britanniques, où les révélations se sont succédé comme dans un feuilleton rocambolesque.
Quatre ans et huit mois de prison
«En 2001, je suis resté coincé à Chicago pendant une semaine à cause du 11 Septembre. Tous les vols étaient annulés. J'étais venu pour le vernissage privé de l'exposition Van Gogh et Gauguin à l'Art Institute. J'ai donc vu la collection du musée calmement, vu Le Faune sans le mettre plus en doute que les musées. Lorsque Scotland Yard a évoqué un faux Gauguin de même nature, j'ai fait le lien», nous raconte Martin Bailey, œil redouté de The Art Newspaper. C'est lui qui a identifié le faux, disséqué les mensonges de sa provenance et a pisté ce Faune mirifique de la petite ville à 40 miles de Birmingham jusqu'au géant américain.
Dans son réquisitoire, détaillant les faits, le procureur Peter Cadwallader ne s'était guère arrêté sur l'œuvre en question : «Shaun Greenhalgh n'a pas négligé la France. Il a contrefait une sculpture de Gauguin et l'a vendue chez Sotheby's pour le compte de Mrs Roscoe.» Roscoe est le nom de jeune fille de la mère de Shaun Greenhalgh. Olive, 83 ans, dont l'assistance occasionnelle sous forme de coups de téléphone et de rencontres habilement arrangées, a servi à écouler plusieurs faux.
Olive a déjà été condamnée à un an avec sursis. Quant à son faussaire génial de fils, qui aurait voulu simplement se faire passer pour le mauvais vendeur de la famille, il a été condamné à quatre ans et huit mois de prison. Il se trouve actuellement dans celle de Liverpool où Ed Chadwick, «crime reporter» du Bolton News, attend ses confessions. Un scoop que la loi anglaise interdit de payer. Et le père, actif VRP des créations de son fils ? Après un délai légal dû à l'examen de sa santé, il sera fixé sur son sort cette semaine.