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Le drame copte : le rêve brisé d'Alexandrie

Publié le 12 janvier 2011 par Hermas

 

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Pour les chrétiens d’Egypte, les fêtes ont un goût de cendre. L’année 2010 s’ouvrit sur le Noël sanglant de Nag-Hammadi, elle se referma sur l’attentat perpétré, la nuit de la Saint-Sylvestre, contre l’église des Deux-Saints d’Alexandrie. 

Comme dans un cauchemar, l’horreur se répète et la colère gronde chez les coptes qui ont du martyre une trop longue expérience. Après le drame, ils sont descendus dans la rue et se sont opposés aux forces de l’ordre peu enclines, lorsqu’ils sont menacés, à leur porter secours. Lors des obsèques, les fidèles ont imposé le silence à l’évêque Youanes chargé de leur transmettre les condoléances du président. L’Etat, comme toujours, tente de minimiser les faits et se refuse à reconnaître tout caractère confessionnel à l’attaque meurtrière.

Les coptes n’en peuvent plus des mensonges et des non-dits qui étouffent leur pays. Ils veulent en finir avec l’image d’Epinal d’une Egypte pacifique, conviviale, où chrétiens et musulmans vivraient en bonne intelligence. Le mythe de l’unité nationale est mort avec Sadate qui, pour se démarquer de son prédécesseur, a joué les apprentis-sorciers en initiant une politique d’islamisation de la société. Il en fut, ironie du sort, la victime la plus célèbre. 

S’il garde le contrôle du politique et de l’économique, le pouvoir actuel est absent du champ social, religieux et culturel. Les frères musulmans et les tenants du wahabbisme ont eu tout loisir d’infiltrer la société et d’en modifier en profondeur les références et les comportements. Sous leur influence, l’Egypte décréta l’interruption des programmes télévisés, cinq fois par jour à l’heure de la prière. Durant celle-ci, la vie se figea, on ne communiqua plus que par gestes. Dans les transports, on vit apparaître des voitures réservées aux voyageuses. Les femmes se coiffèrent du voile islamique tandis que les hommes laissèrent pousser leur barbe : autant de symboles qui contribuèrent à exacerber les antagonismes. C’en était fini du rêve alexandrin, de la coexistence heureuse des religions et des cultures. Celle que Lawrence Durrell surnommait « la capitale de la mémoire » s’enfonça, inexorablement, dans la peur, dans l’obscurantisme, dans le refus de l’autre. De toutes les frustrations, les chrétiens furent, plus que jamais, les boucs-émissaires.

L’Egypte est aujourd’hui un géant aux pieds d’argile arc-bouté entre archaïsme et post-modernisme. Qu’adviendra-t-il lorsqu’au terme de cette interminable fin de règne, Moubarak disparaîtra ?

Le calvaire enduré par les coptes n’est hélas pas un cas isolé. De l’Erythrée à Bagdad, d’Istanbul à Islamabad, les chrétiens sont, à des degrés divers, persécutés. Considérés comme des citoyens de seconde zone, des agents de l’Occident, des étrangers à ces terres dont ils furent pourtant les premiers convertis au Dieu unique, ils n’ont d’autres choix que l’exil, le reniement ou la mort. 

Pendant des années le monde a détourné les yeux, a choisi le silence. La communauté internationale, les Etats sans racines assumées qui la composent ont laissé faire. Les chrétiens d’Orient sont sans doute bien dérangeants ! Trop arabes, pour ne pas inquiéter et trop croyants, en ces temps marqués par le laïcisme triomphant. A chaque époque, ses Persans : comment peut-on être arabe et chrétien ?

L’horreur des images diffusées par les médias a, semble-t-il, arraché l’Occident à sa torpeur. On s’indigne enfin, enfin on se souvient qu’en d’autres contextes on fit usage du droit d’ingérence. Des députés se mobilisent quand la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, annonce qu’elle va prendre un certain nombre d’initiatives avec ses collègues européens pour assurer la protection des chrétiens d’Orient. Lors de ses vœux aux autorités religieuses, le président de la République, Nicolas Sarkozy, a exprimé sa proximité avec les martyrs de Bagdad et d’Alexandrie. Ils sont « nos martyrs » a-t-il ajouté avant de dénoncer le plan « d’épuration » religieuse à l’œuvre au Moyen-Orient.

Si celui-ci devait aboutir, ce serait une tragédie, une double tragédie : pour  les chrétiens d’abord, contraints d’abandonner, la mort dans l’âme, leurs terres d’origine ; mais aussi pour les musulmans qui se verraient amputés, par cet exode, d’une part d’eux-mêmes. 

Pour que vive de nouveau le rêve alexandrin, chaque croyant doit reconnaître en l’autre, par delà ses différences, un frère, un semblable en qui Dieu est à l’œuvre.

Mgr Michel Chafik

Recteur de le Mission copte catholique de Paris

Notre Dame d’Egypte


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