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7h31. Le cul posé sur le coffre d’une Merco. Clope au bec....

Publié le 14 janvier 2011 par Fabrice @poirpom
7h31. Le cul posé sur le coffre d’une Merco. Clope au bec....

7h31. Le cul posé sur le coffre d’une Merco. Clope au bec. Les enseignes lumineuses piquent les yeux. Figurants emmitouflés, marteau-piqueur au taquet. Le trafic du Cours de Vincennes s’épaissit à chaque minute.

Le camion de location se cale sur le trottoir de la contre allée. Jou-Jou et Mateo débarquent. Quatre trous de pine dont deux binoclés. Jou-Jou sautille et rentre chez le loueur. Le temps de régler les papiers et on repart avec quelques accessoires. Dont un groupe électrogène. Un âne mort. Un autre, genre coffre à trésors. Une enclume à roulettes.

À l’arrière du camion, Mateo joue du chausse-pied pour faire tenir les quelques accessoires en plus de la tonne de bricoles et d’acier récupérés la veille avec Jou-Jou. En sport, on appelle ça un échauffement.

Maréchaux et autoroutes se déroulent tandis que le gris et la pluie remplacent la nuit. Échangeur destructeur, nationale qui cisaille une zone d’activités ravagée. Une avenue grise, une rue bombée, un grand portail ouvert sur un terrain délabré. Hangars et pré-fabriqués aléatoirement disposés. Cahotements du camion. Des bennes grosses comme des studios parisiens sans kitchenette dégueulent de gravats. Des déchets compactés entassés. Murs de papier, carton, plastique. 

Jou-Jou manoeuvre et cale le camion près de l’auvent qui mène au hangar. 

J’ai négo avec un pote. Il nous le lâche pour la journée.

Frein à main. Crissement de pneus sur la terre et le sable saupoudrés sur le bitume fracassé. Des flaques d’eau grandes comme des lacs artificiels ramollissent le cuir des pompes à l’atterrissage.

Échange de banalités avec un co-sanguin qui bosse sur la zone. Il cligne beaucoup des yeux, se mouche dans ses doigts et s’essuie sur la joue.

Je compte des cagettes. Toute la journée. Avant de les filer aux gars qui font le dispatch dans tout le coin.

À quoi servent-elles? Pourquoi les compter?

Mystère et boule de gomme.

Les meilleurs amis de Cagette, ce sont les chariots de la Poste qu’il a extorqués à leurs livreurs au fil du temps. Avec eux, il peut déplacer les cagettes. Qu’il compte. Toute la journée.

Si l’patron y voit pas, on peut tout faire. Si y voit, on peut rien faire.

Pas de patron en vue apparemment. Cagette nous lâche des chariots pour décharger notre matos. Puis il disparaît derrière une porte.

Jou-Jou ouvre une autre porte. Traversée d’un couloir obscur. Une deuxième porte. Qui donne sur une boîte à chaussures géante en parpaings. Plusieurs centaines de mètres cube de vide. Au plafond, des tôles ondulées translucides déversent une maigre lumière. La pluie persifle. Circuit électrique H.S. 

Déchargement pleine balle, à commencer par le groupe électro. Déposé sous l’auvent, démarré par Jou-Jou. Un tracteur dans une caisse de résonance. Pour limiter le rugissement, il le planque dans un renfoncement puis rumine son planning.

L’équipe déboule. Photographe, designer et stagiaires de l’agence.

La journée peut alors commencer.

Une structure légère et mobile, pouvant être montée par deux jeunes femmes de taille moyenne. Si possible en moins de deux heures.

Cahier des charges originel et purement théorique du truc super.

C’est beau, les intellos. Pour noircir du papelard de conneries, il y a toujours du monde.

Dans la vraie vie: un pied d’acier lourd comme un coffre à trésors; des pieds en béton  en complément parce que le premier n’est finalement pas assez lourd pour encaisser la structure; des arcs de cercle de plus de deux mètres à boulonner; des pétales de fer grosses comme de poêles à châtaignes, à enfiler dans des tubes d’acier dont les extrémités tailladeraient du carbone comme du beurre; des fines barres de fer à caler au millimètre, ornées de lampes LED fragiles comme l’hymen d’une collégienne; des cubes en résine, des toiles à bandes velcro, des rideaux à monter sur tringle, des boulons et encore d’autres boulons.

Et tout çà, c’est un arbre. Et des fleurs. 

Genre.

C’est beau, les intellos.

Deux nénettes, moins de deux heures. 

Sans déconner…

Dans la vraie vie: trois heures et demi de taff, cinq paires de bras qui tressaillent. Dont ceux du designer himself.

C’est beau, les intellos.

Sans compter les babioles récupérées la veille à installer un peu partout. Angelino, Rolling Cube, Touchest… chacun sa place, à définir.

Vingt minutes de pause, debout. Lipides, glucides, protides. En forme de pizzas molles.

Au total, près de quatre heures de carnaval pour monter le truc super. Le présentoir à geekeries. Tout ça pour que le LaChapelle de service pose deux parapluies et une boîte à lumière. Et c’est parti pour deux heures de clic-clac Kodak. 

Le mec jubile. Trois à cinq personnes en permanence à ses côtés pour pousser un cube, tirer une chaise, bouger un parapluie, décaler un projo ou planquer un câble. Il se paye même le luxe de prendre toute la troupe comme figu. Avec les futes de chantier, les traits tirés, les clés à pipe et les couteaux dans les poches et aux ceintures.

Z’emmerdez pas. Bougez, bougez. Vous s’rez tous flous.

16h30. LaChapelle plie bagages, rencard avec sa blonde oblige. Il embarque toute l’équipe. 

Avec Jou-Jou et Mateo, trois heures de démontage, rangement et chargement. À moitié sonnés dans le camion, gros détour par Argenteuil pour ranger le truc super. 

Et l’aspirateur de Gitanes veille. Et s’inquiète de plus en plus.

Retour sur Paris, en quête de sushi.

Dîner canapé chez Mateo.

J’suis trop vieux pour ces conneries.

Jou-jou commente la journée et paye son blaze. Qui invite à tirer le rideau.

Demain, il faut rendre le matos. Décharger ânes mort enclume à roulettes et autres babioles.

Effondrement.


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