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Max | Elle

Publié le 13 janvier 2011 par Aragon

estuaire gironde.jpgElle s'est installée dans le jardin, sur le banc de pierre couvert de mousse. Elle s'échappe de moi, de nous. Elle tient à s'inscrire dans le flux des vents qui tourbillonnent dehors, elle tient à exister dans leur passage, à saisir l'imperceptible murmure des âmes qui vont et viennent, au-delà des bruits familiers de l'estuaire.

Elle capte des appels, des vibrations diverses, mélange de vies en cours, de vies à venir et de vie achevées. Elle s'inspire de ces non-visages, de ces parcours sans chemin, de ces errances bruissant dans les feuilles pour alimenter son propre destin. Elle est un passeur d'âmes, un traducteur de vies, une chamane au coeur gonflé par les nuits criminelles, elle accorde toute son attention au fleuve encombré de tout, au flux empesé par les désirs de vivre malgré tout.

Je me tiens derrière elle, je fume une cigarette sans bouger. La rencontre est magnétique : nous sommes deux corps liés par un juste serment, par une parenté évidente et ancestrale, et le fleuve peut bien charrier des monceaux de détritus abjects, le courant qui nous unit est limpide et transparent comme une voix d'enfant.

Je m'approche et pose mes mains sur son cou. Elle ne bouge pas, mais je sens sa présence plus sourde, plus réceptive à mon ombre. Elle tourne un peu la tête, regarde les nuages bas vers le sud, et prend son temps comme si elle devait les compter pour les faire exister.

Je sais la fièvre qui la saisit lorsque je la touche, je devine le battement de son coeur invité à la table de la joie, je respire les odeurs de son corps au travers de mes souvenirs, et le simple contour de son visage penché si délicieusement fait grandir en moi la certitude que l'heure est acquise.

J'ai payé cher cette heure à venir, j'ai souffert dans le cercle de mes propres refus, j'ai gardé en moi toute les semences généreuses, et je sais que le temps qui me reste est un champ à labourer, un espace à investir jusqu'au moindre centimètre. Elle se lève.

Elle m'ouvre la porte sur cette terre à nouveau fertile de désirs, de chants et de fêtes, et je marche avec elle vers notre lit comme un homme en sursis laissant derrière lui la trace immanquable de son passage.


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