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L’Art industriel est aussi une industrie artistique capable d’exploiter économiquement le travail des artistes non pas bien qu’il soit mais parce qu’il est, indissociablement, une instance de pouvoir proprement intellectuel et artistique capable d’orienter la production des écrivains et des artistes en la consacrant. Arnoux était d’une certaine façon prédisposé à remplir la fonction double du marchand d’art, qui ne peut assurer le succès de son entreprise qu’en en dissimulant la vérité, c’est-à-dire l’exploitation, par un double-jeu permanent entre l’art et l’argent : il n’y a place sur le marché des biens symboliques, que pour la forme douce de violence qu’est la violence symbolique (« Arnoux l’aimait -Pellerin- tout en l’exploitant », E.S. , PI. 78, F. 64). Cet être double, « alliage de mercantilisme et d’ingénuité » (E.S. , PI. 425, F. 422), d’avarice calculatrice et de « folie » (au sens de Mme Arnoux- E.S. , PI. 201, F. 191 -mais aussi de Rosanette- E.S. , PI. 177, F. 167) c’est-à-dire d’extravagance et de générosité autant que d’impudence et d’inconvenance, ne peut cumuler à son profit les avantages des deux logiques antithétiques, celle de l’art désintéressé qui ne connaît de profits que symboliques et celle du commerce, que parce que sa dualité plus profonde que toutes les duplicités lui permet de prendre les artistes à leur propre jeu, celui du désintéressement, de la confiance, de la générosité, de l’amitié et de leur laisser ainsi la meilleure part, les profits tout symboliques de ce qu’ils appellent eux-mêmes « la gloire » pour se réserver les profits matériels prélevés sur leur travail. Homme d’affaires et de commerce parmi des gens qui s£ doivent de refuser de reconnaître, sinon de connaître, leur intérêt matériel, il est voué à apparaître comme un bourgeois aux artistes et comme un artiste aux bourgeois.
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in Pierre Bourdieu, « L’invention de la vie d’artiste », Actes de la recherche en sciences sociales, Vol 1, n°2, mars 1975, p.74
E.S. = L’éducation sentimental de Flaubert
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