Je me fais cuire une tarte aux courgettes et au fromage de chèvre. Je crois que ça va me suffire.
Ça ne me suffit pas.
Je me fais cuire trois cordons bleus dans du beurre salé. Je ne mange pas de légume.
La poêle est très chaude, les cordons bleus cuisent trop rapidement, je baisse le feu.
Il y a une certaine odeur de gras, j'enclenche la hotte aspirante.
Pour ne pas que l'odeur traîne.
Il y a de la buée à ma fenêtre. Il fait nuit dehors. Il est vingt heures : nous sommes en hiver.
Les cordons bleus, parce qu'ils sont congelés, sont longs à cuire, je baisse le feu, je regarde la télé, je regarde le JT, je regarde la météo, je regarde de belles publicités.
Je picore des pâtes crues.
Pour patienter.
Mes cordons bleus crament : j'enlève un peu de la chapelure noircie, l'intérieur n'est pas encore cuit.
Mes cordons bleus sont de piètre qualité : le fromage fond au travers du peu de la chapelure qui reste et brûle avec le beurre.
En attendant, je fais la vaisselle de mon plat à tarte. Pour éviter que ça traine.
En même temps, je retourne mes cordons bleus.
Je me lave les mains avec un savon spéciale cuisine qui sent le citron : il est spécialement fait pour les odeurs tenaces et sent le citron. Je n'aime pas cette odeur de citron. De manière générale j'aime ce qui sent le citron sauf mon savon spéciale cuisine qui sent le citron.
J'aère un peu ma cuisine histoire d'enlever cette odeur de gras et de citron.
L'aspiration de la hotte conjuguée à la fenêtre ouverte crée un courant d'air. Je referme la fenêtre.
Je me dis qu'il faudrait que je fasse des légumes pour accompagner mes cordons bleus mais je n'ai pas envie de légumes : j'ai mangé ma tarte aux courgettes, c'est suffisant.
Je ne cours pas après les légumes.
Mes cordons bleus son cuits.
J'aime mieux les cordons bleus que les légumes.
Je mets les cordons bleus dans une assiette et je mets la poêle dans l'évier. La poêle étant chaude, l'eau que j'y verse bout instantanément et fait de la vapeur.
Je mange mes cordons bleus.
Mes cordons bleus sont très bons finalement.
J'aime être surpris par les aliments que j'ingère. C'est de cette façon que ma vie est pleine de petits plaisirs.
Le téléphone sonne. Quelqu'un laisse un message sur le répondeur. Il commence ainsi : "Ed ? Ed tu es là ? Si tu es là décroche, il faut qu'on parle...".
Ça a l'air important.
J'ai mis mes souvenirs dans une boîte étanche. Pour éviter que ça traîne.