La folie Lovecraft

Publié le 27 décembre 2007 par Lauravanelcoytte
Arts. En Suisse, le musée européen de la Science-Fiction célèbre les 70 ans de la mort de l’écrivain américain en conviant une centaine de dessinateurs à s’inspirer du «Livre de raison», son carnet de cauchemars. Envoyée spéciale à Yverdon-les-Bains (Suisse) Frédérique Roussel QUOTIDIEN : jeudi 27 décembre 2007 L’expo qui rend fou, H. P. Lovecraft et le Livre de raison Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains (Suisse). Mer.-ven. 14h-18h, sam. et dim. 12h-18h. Jusqu’au 6 avril. Rens.: (00 41) 24 425 64 38 ou www.ailleurs.ch  

Au commencement, un petit carnet de notes. A l’intérieur, Howard Phillips Lovecraft griffonnait des idées, des rêves, des citations, «dont le but est de permettre l’envol de l’imagination et du souvenir». Rien de bien exceptionnel pour un écrivain, avide de détails quotidiens susceptibles de nourrir une narration. Ecrites de 1919 à 1934, les courtes phrases de l’auteur de Providence (Rhode Island) apparaissent comme l’essence de sa pensée. Lovecraft arrive à y évoquer, cliniquement, des horreurs indicibles, des monstres tapis dans l’obscurité, des cités sous-marines ou des rêves se confondant avec le réel.

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Vision. Lovecraft pensait que nous vivons dans l’illusion et que des choses se cachent à la périphérie de la vision. Exemples tirés du fameux carnet, intitulé le Livre de raison (The Commonplace Book) : «Une chose vivante, informe, constitue le cœur d’un vieux bâtiment» ou «Rôder la nuit autour d’un étrange château sans lumières, au milieu d’un décor surprenant». Ces notes lancinantes ont parfois servi à bâtir des fictions à faire se dresser les cheveux sur la tête (1).

L’idée de mettre ce «pense-bête» au cœur d’une exposition est venue du dessinateur-humoriste suisse Mix & Remix. A 47 ans, il a découvert l’univers de Lovecraft après avoir lu la monographie de Michel Houellebecq. Il a alors entendu évoquer le petit Livre de raison. Pourquoi ne pas donner ces 222 suggestions brutes à des illustrateurs ? Mix & Remix lui-même a croqué une cinquantaine de dessins en un temps record. Tout ne l’a pas inspiré. «Vous avez ce petit détonateur qui fait que vous avez envie de dessiner une image ou pas», explique-t-il à l’émission Sonar de la radio suisse romande Espace 2. Certaines phrases ont parlé à tout le monde, d’autres sont restées dans les limbes.

Tentacules. Une centaine d’illustrateurs, de dessinateurs de bande dessinée, d’albums pour enfants se sont prêtés au jeu. Au total, près de 500 œuvres inédites fêtent à leur manière le 70e anniversaire de la mort de H.P. Lovecraft (1890-1937). «C’est l’expo qui rend fou… les organisateurs», s’amuse Patrick Gyger, directeur de la Maison d’Ailleurs, musée de la Science-Fiction, de l’Utopie et des Voyages extraordinaires (lire page suivante). La production ne montre pas que des tentacules sur le point d’étrangler un pauvre humain, mais aussi des collages humoristiques, des visions burlesques ou poétiques. «L’expo qui rend fou» permet de revisiter la légende avec une multitude de points de vue. «Ce n’est pas une exposition sur Lovecraft, mais une exposition lovecraftienne», estime Patrick Gyger. Ainsi d’Albertine, illustratrice pour enfants, qu’a inspirée en bleu et rose la sinistre pensée qui dit : «Sensation de noyade. Sous la mer - villes, navires, âmes de morts. La noyade est une mort horrible.» Caza imagine «l’Intrigue du Dr Eden Spencer» avec une main de monstre sur le point de sonner à la porte dudit docteur. Tom Tirabosco voit dans «Un bruit hideux dans l’obscurité» un monstre qui boit à la paille le cerveau d’un chat, sous les yeux d’un sympathique canard, sa mascotte. Un homme de dos en marcel regarde par une fenêtre et se demande : «Où est passée ma bagnole ?» L’œuvre signée Antoine Guex accompagne en réalité la pensée lovecraftienne, «Quelqu’un regarde par la fenêtre et se rend compte que la ville et le monde au-dehors sont désormais sombres et morts».Nyarlatote

Lignée. L’exposition propose également de courts textes fictifs rédigés par des écrivains, comme les Américains Terry Bisson, James Morrow ou Norman Spinrad, le Britannique Christopher Priest ou le Belge Jacques Finné.

Loin d’être un panégyrique à un mort qui hante encore, l’exposition d’Yverdon a donné du matériau lovecraftien à remoudre. Après sa mort, il a été vite adapté aux Etats-Unis par des magazines d’horreur. Dans cette lignée, un hors-série de Métal Hurlant sera exclusivement consacré à HPL en 1978. Son univers se retrouve aussi chez Philippe Druillet, Tibor Csernus ou Jean-Michel Nicollet. Car l’envers de la réalité reste une source d’inspiration inépuisable.

(envoyée spéciale à Yverdon)

(1) Dans Night Ocean et autres nouvelles, traduit par Jean-Paul Mourlon, Belfond, 1986.

http://www.liberation.fr//culture/300459.FR.php?utk=008b428a