La dignité des journalistes et l'effet Koulechov

Avez vous assisté à la colère de JMAppathie, à propos de la Tunisie, sur le plateau du Grand Journal, hier soir? « Ah ça, mais, que non, pas du tout, les journalistes ont bien fait leur travail, Monsieur! », « Ils ont dénoncé à plusieurs reprises, le régime de Ben Ali ». Et de balancer des extraits de journaux télé, remontant à 1999, imaginez un peu, le siècle dernier!

Il défend bec et ongles sa corporation, dressé sur ses ergots à talonnettes. Il donne du bec, ici, et aussi là, le choucas : « Faut pas dire qu'on vous l'avait pas dit que c'était un méchant le Ben Ali ». 

Ce soir, il est remonté. Des éditocrates de son rang, bien coiffé et les cheveux sales, ont osé suggérer, du bout des lèvres, que les journalistes auraient, peut-être, fait preuve d'un peu de complaisance envers le régime tunisien. « Ah non, faut pas dire ça, on l'avait dit que ça torturait, que ça emprisonnait et que ça écrasait. On l'avait dit et pas qu'une fois! ».

C'est vrai, ils l'avaient dit et pas qu'une fois. Ils avaient dit « dictature », entre un sujet sur les vacances à Djerba et un reportage sur les voyages pas chers. Ils avaient dit « corrompus », entre l'annonce de la sortie de nouvelles prothèses mammaires et le « boum » des séjours de chirurgie-plastique au soleil. Ils avaient dit « emprisonnement », avant un compte rendu d'étape du Rallye des Sables©.

Ils auraient aussi bien pu dire « salauds », « tortionnaires », « pays de flics » et diffuser les embrassades officielles de Ben Ali avec des présidents de la République ou du FMI. Faut-il ajouter la multitude de publi-reportages qui inondent les émissions salle-d'attente de la télé sur les séjours, les hôtels, les vacances, parce-que-vous-le-valez-bien?

Cette manipulation est bien connue sous le nom d'effet Koulechov [wiki]. Un portrait de Ben Ali, neutre, sans expression sanguinaire ni d'intelligence, rien, placé à coté d'une image de vacances au soleil ou d'une image de geole crasseuse prendra, selon, un caractère négatif ou positif.

En l’occurrence, le caractère de la Tunisie est positif, pour la télé française et notre Ministre de la Culture. Personne n'a jamais songé en France à accabler le Général tunisien. Il est bien rasé et ne manque pas d'allure, même sans uniforme.

En ce qui me concerne, j'étais alerté sur la situation en Tunisie après avoir rencontré un chauffeur routier tunisien, un soir à Munich, avec Zarof - comment s'appelait-il déjà? Ça lui faisait plaisir de parler français et il avait vidé son sac en poussant son vélo alors qu'on cherchait un autre bistrot. Il avait décrit quelque chose comme un monde Orwelien où un citoyen sur trois est un flic ou une balance. Il était content de faire l'Europe... Il y a plus de dix ans de cela.

Mais, ça ils l'avaient dit, en 1999, les journalistes. Alors pensez, la dignité de la profession! C'est pas leur problème l'effet Koulechov.