Les dialogues italiques n’appartiennent pas à la réalité.
Dans un bar. Assis autour d’une bière.
LUI _ Je déteste sortir d’un cinéma en ayant l’impression d’avoir perdu de l’argent. Il était nul ce film, c’est dingue !!!
ESTER _ C’est clair que c’était pas le film du siècle, mais enfin il était pas si mauvais que ça non plus…
LUI _ Si, il était à chier… Complètement. (Silence. Jeux de regard. Puis, LUI se lance.) Tu me plais. Et je ne comprends pas pourquoi c’est si dur pour moi de te le dire. Ça devrait être une chose simple à dire mais ça ne l’est pas. J’aimerais te regarder, là, comme je suis en train de le faire et te dire « Tu me plais », comme ça, aussi simplement que d’être ici et de boire une bière. Cette bière. Mais je n’y arrive pas. Et je ne sais pas pourquoi c’est si dur.
ESTER _ J’admets que la nana, celle qui joue le rôle de la serveuse était nulle voire limite énervante, mais le mec qui jouait le schizophrène, lui, était vraiment très bon : tout son discours sur la résignation, « la gamelle pour les chiens », « les croquettes pour les chats », et le jeu de mots sur les « poisons rouges »… c’est un peu facile, mais c’était pas mal quand même… en tout cas, on y croyait… Je te regarde, et je baisse les yeux. Je te regarde, comme on regarde un beau tableau. Tu mériterais un cadre tellement tu es beau quand je te regarde. J’ai de l’admiration pour toi, si tu savais… J’aime ton odeur aussi. Ton parfum. J’aime la façon avec laquelle tu bois ta bière, j’aime la façon que tu as d’être assis, d’occuper l’espace et de le remplir. Naturellement. J’aime la façon que tu as de gratter l’intérieur de ta cuisse aussi. J’aimerais être ta main dans ces moments là. Ou ta cuisse. Une partie de toi quand tu fais ça. J’aimerais juste te toucher un peu, avoir cette force, juste pour m’assurer que tu es là, que tu es bien réel. Mais ma main se fait lourde et mon intention... J’ai du ciment au bout des bras et des tonnes de mortier au bout de la langue pour avoir assez de force et te dire que je t’apprécie. Plus que tu ne le penses. Non, que je crois que je t’aime en fait. Que c’est facile. Que je t’aime tout simplement. Comme ça. Comme on aime quand on aime. Mais ça n’est pourtant pas facile pour moi de te le dire. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi. Et la mise en scène était sympa.
LUI _ Mais arrête, c’était totalement creux… on a l’impression que le réalisateur n’est pas allé jusqu’au bout… il aurait pu aller plus loin je pense, assumer un peu plus… et puis le jeu de mots sur les « poisons rouges », excuse moi, mais bof quand même : on dirait que le texte a été écrit par un vieux dépressif aigri !!!
ESTER_ T’es dur quand même… On comprend très bien où il veut aller. C’est pas la peine d’en faire plus… on sait lire entre les lignes… Et je continuerai à baisser les yeux tant que je n’arriverai pas à délier ma langue. Je continuerai à me sentir bête à tes côtés, à continuer à te trouver brillant quand tu es brillant, à te contempler comme un beau paysage : tu es beau comme un camion…Tu vaux plus qu’une fille comme moi. Je suis si petite quand tu es là. C’est ce que je devrais te dire. D’habitude pourtant, je n’ai aucun mal à dire les choses. Je regarde et je dis : « tu me plais ». Et l’action se déroule. Et tout va bien. D’habitude je dis : « J’ai envie de passer du temps avec toi ». Et je passe du temps. Du bon temps. Juste ça. Mais là, je te regarde et me contente de baisser les yeux. Et de sourire bêtement. Alors que je voudrais crier au monde entier que je t’aime. Et que c’est bien. Mais que c’est difficile aussi.
LUI _ Je ne suis pas dur, mais réaliste… Tu me plais. Sur ma peau, sur mes lèvres, dans ma tête. Dans ma tête. Tout le temps. Il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à toi. A me demander ce que tu fais, à quoi tu penses, à qui tu penses. Si tu penses à moi comme moi je pense à toi. A me demander si un autre te touche dans ce moment, si un autre te touche et si tu aimes ça. J’imagine le moment où j’aurai la force de dire « tu me plais » et j’ai peur de te voir dans cet instant là. J’ai peut-être un peu peur que tu me rejettes aussi. Pourtant, je ne sais pas. J’ai parfois l’impression de lire les signes que tu laisses derrière toi, comme des miettes qui me sont adressées. Je les ramasse, j’en fais du pain perdu. Pas perdu pour tout le monde, même pas rassis. Et je me réajuste un peu et me dis que je me fais des idées. Que ce n’est juste qu’un jeu.
ESTER_ De toute façon, toi, tu n’aimes pas les films grand public. J’aimerais bien être ton film d’art et essai. Un film danois fait rien que pour toi, histoire que tu m’aimes un peu…que tu me regardes, me considères, comme quelque chose que tu aimes. Parce que moi, je crois que je t’aime même si ça ne sort pas…
LUI _ Ah, au fait, tu es au courant de ce qui s’est passé hier ?
ESTER_ Non… quoi ? Je pourrais passer des heures à t’écouter, juste comme ça. A avoir cette impression qu’il n’y a personne dans ce bar, juste toi et moi. Et la table. Et les bières posées dessus, la condensation qui perle à l’extérieur du verre et que tu lèches innocemment sur tes doigts… Passer du temps à t'entendre demander :" Ah, au fait, tu es au courant de ce qui s'est passé hier ?"
LUI _ Et bin au boulot, ils ont dû faire sauter un paquet dans le hall… Tu sais, à cause de cette psychose sur le terrorisme et tout, et bien y’avait un gros paquet oublié par un des voyageurs… Arrête de me regarder de cette façon, je te jure, c’est la chose la plus horrible que tu puisses faire. Arrête de me regarder droit dans les yeux, je préfère quand tu détournes ton regard, et ne crois pas que je ne voie pas quand tu baisses les yeux. Sache que j’aime bien quand tu baisses les yeux parce que j’aime à croire que quand tu le fais, je t’intimide un peu. Et puis je me reprends, et me dis que je me fais des idées, sûrement. Mais arrête de me regarder, de regarder ma bouche aussi, qui aimerait tant goûter à la tienne. Recueillir un peu de la bière que tu viens de boire…T es une fille qui aime la bière, j'aime les filles qui boivent de la bière. Tu me plais si tu savais. Mais non, tu ne sais pas, puisque je ne te le dis pas… et comme personne n’est venu le réclamer…
ESTER_ Vous avez passé des annonces au micro ? Ce que j’aime autant que je déteste quand tu fais ça. Tu sais, ce truc. Quand tu te grattes l’intérieur de la cuisse, comme ça. Tu le fais souvent. Tu n’as pas idée de ce que ça fait. Non, non, ça ne me fait pas ça. C’est plus beau que ça. Tes ongles font un bruit contre ton jean et la peau dessous. C’est comme quelque chose que tu me dirais. Quelque chose qui ne serait adressé qu’à moi. Et que je comprendrais. Et je serais bien la seule. Et j’aime bien la place qu’avait la poche arrière de ton jean, celle qui est arrachée et qui a laissé une trace non délavée sur ton pantalon. Comme un clin d’œil qui ne serait que pour moi…
LUI _ Bien sûr. On n’allait pas prendre ce risque. Et puis vu que personne n’est venu, les gars de la sécurité l’ont fait sauter. Tu me plais, tu me plais. Tu n’as pas idée.
ESTER_ Et y’avait quoi dedans ?
LUI _ C’est ça le plus incroyable : absolument rien.
ESTER_ C’est dingue ça. Absolument rien ? Un gros paquet vide ?
LUI _ Totalement vide… pourtant, on pouvait en mettre bien des choses dedans…
Un temps. Puis :
LUI _ On y va ? Je te rappelle qu’on bosse tôt demain…
ESTER_ OK… C’est pour moi, j’t’invite…
ESTER pose négligemment de la monnaie sur la table de bar.
LUI et ESTER se lèvent. Puis LUI retient ESTER, la regardant dans les yeux.
LUI _ Tu me plais tu sais, et pas qu’un peu. Mais je ne te le dirai pas parce que justement tu me plais. Et que je ne sais pas dire ces choses là. Alors ça veut certainement dire que ça en restera là, que j’en crèverai certainement de ne t’avoir rien dit. (ESTER baisse les yeux, gêné). Et tu peux pas savoir comme je t’aime quand tu fais ça, quand tu poses pudique. Je t’aime, t’as pas idée. A la mesure de ce regard que tu détournes, à la mesure des gestes que je n’ai pas envers toi.
ESTER_ Moi je te dirais que je t’aime à m’en taper la tête contre les murs. Que je t’aime et que tu me manques déjà, alors que l’on se quitte à peine. Que tu me manques déjà dans mon sommeil lorsque je n’arrive pas à rêver de toi. Mais que moi comme toi, on est muets quand on aime comme ça. On oubliera. Je suis désolé. J’oublierai jusqu’au bruit de tes ongles sur ton jean. J’essayerai. Il est parfois des histoires qui aurait pu se construire, des gens qui se croisent mais qui ont peur de se reconnaître. Nous deux, on est comme ça. On se respecte trop pour se dire ces choses. Et peut-être que ces choses là, au final, ne se disent pas. Peut-être qu’un jour, on aura la force des anges. Nous n’en avons pour l’instant que la faiblesse.
LUI et ESTER s’embrassent sur la bouche, tendrement, ceci n’appartenant bien sûr pas à la réalité…
LUI _ A demain.
ESTER_ Yep, à demain.
Aparté :
LUI _ Quel con...
ESTER _ Non mais quelle conne...