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Jean de La Ville de Mirmont, L’Horizon chimérique

Publié le 20 janvier 2011 par Angèle Paoli
«  Poésie d'un jour

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   L’HORIZON CHIMÉRIQUE

  (extraits)

  V

Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte ;
Le dernier de vous tous est parti sur la mer.
Le couchant emporta tant de voiles ouvertes
Que ce port et mon cœur sont à jamais déserts.

La mer vous a rendus à votre destinée,
Au-delà du rivage où s'arrêtent nos pas.
Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées ;
Il vous faut des lointains que je ne connais pas

Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.
Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d'effroi,
Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,
Car j'ai de grands départs inassouvis en moi.

  XI

Diane, Séléné, lune de beau métal,
Qui reflètes vers nous, par ta face déserte,
Dans l’immortel ennui du calme sidéral,
Le regret d’un soleil dont nous nous pleurons la perte,

  O lune, je t’en veux de ta limpidité
Injurieuse au trouble vain des pauvres âmes,
Et mon cœur, toujours las et toujours agité,
Aspire vers la paix de ta nocturne flamme.

  XIII

La Mer est infinie et mes rêves sont fous.
La mer chante au soleil en battant les falaises
Et mes rêves légers ne se sentent plus d'aise
De danser sur la mer comme des oiseaux soûls.

Le vaste mouvement des vagues les emporte,
La brise les agite et les roule en ses plis ;
Jouant dans le sillage, ils feront une escorte
Aux vaisseaux que mon cœur dans leur fuite a suivis.

Ivres d'air et de sel et brûlés par l'écume
De la mer qui console et qui lave des pleurs
Ils connaîtront le large et sa bonne amertume ;
Les goélands perdus les prendront pour des leurs.

  XIV

Je me suis embarqué sur un vaisseau qui danse
Et roule bord sur bord et tangue et se balance.
Mes pieds ont oublié la terre et ses chemins ;
Les vagues souples m'ont appris d'autres cadences
Plus belles que le rythme las des chants humains.

À vivre parmi vous, hélas ! avais-je une âme ?
Mes frères, j'ai souffert sur tous vos continents.
Je ne veux que la mer, je ne veux que le vent
Pour me bercer, comme un enfant, au creux des lames.

Hors du port qui n'est plus qu'une image effacée,
Les larmes du départ ne brûlent plus mes yeux.
Je ne me souviens pas de mes derniers adieux...
O ma peine, ma peine, où vous ai-je laissée?

[Voilà ! Je suis parti plus loin que les Antilles,
Vers des pays nouveaux, lumineux et subtils.
Je n’emporte avec moi, pour toute pacotille,
Que mon cœur… Mais les sauvages, en voudront-ils ?]*

Jean de La Ville de Mirmont, L’Horizon chimérique, suivi de Les Dimanches de Jean Dézert et Contes, Bernard Grasset, Les Cahiers Rouges, 2008, pp. 27, 33, 35 et 36.

* Note d’AP : cette dernière strophe n’a pas été retenue par Gabriel Fauré dans son cycle de mélodies L'Horizon chimérique (1921). Elle l’a été par Julien Clerc dans sa chanson « L’Horizon chimérique » (album Si j’étais elle).

  Né à Bordeaux le 2 décembre 1886, Jean de La Ville de Mirmont a été tué sur le front, à Verneuil-Courtonne (Aisne), le 28 novembre 1914. Il était âgé de vingt-sept ans. Son œuvre, fort brève, se compose d’une nouvelle, Les Dimanches de Jean Dézert, publiée en 1914, de Huit contes, publiés en 1929. Également publiés à titre posthume, les poèmes de L’Horizon chimérique (op. 118) doivent à Charles Baudelaire, inspiration et musicalité. Mis en musique par Gabriel Fauré, créé le 13 mai 1922 à la Société Nationale par le baryton Charles Panzéra (accompagné au piano par Magdeleine Panzéra-Baillot), le cycle L’Horizon chimérique est un des plus beaux fleurons de la mélodie française.

  « Outre son sujet romantique particulièrement attachant », ce cycle est un « chef-d’œuvre d’écriture tout en ne recourant à aucune structure repérable (thèmes mélodiques ou rythmiques, périodicités diverses ou forme). Le langage est continu et abolit le découpage poétique, l’harmonie stable (fréquence harmonique faible), la déclamation uniforme. La cohérence est assurée par l’évolution des moyens musicaux à travers les 4 mélodies : évolution du motif pianistique de plus en plus lent et accentué, agrandissement progressif des intervalles vocaux jusqu’à l’octave finale. » (Marie-Claire Beltrando-Patier)


■ Voir/écouter aussi ▼

→ (sur YouTube) le cycle L'Horizon chimérique de Gabriel Fauré interprété par Gérard Souzay (baryton) et Dalton Baldwin (piano)

■ Gabriel Fauré
sur Terres de femmes

4 novembre 1924 | Mort de Gabriel Fauré (Les Berceaux + extrait de L’Obvie et l’Obtus de Roland Barthes sur la Mélodie française)




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