La vie mortellede Frédéric Louis Sauser, alias Freddie, alias Blaise Cendrars, s’acheva en apparence le 21 janvier à Paris. On imagine le vieux boucanier confiant une dernière fois sa « main amie » à deux fées, Raymone sa compagneet Miriam sa fille. Scène sûrement bouleversante, comme tous les adieux,mais on passera vite sur cette mort survenant trois jours après la solennité tardive d’un Grand Prix de la Ville de Paris qui faisait une belle jambe à l’auteur de L’Homme foudroyé. Déjà frappé à Lausanne, cinq ans plus tôt, par une première attaque paralysant son flanc gauche et donc sa main travailleuse, Cendrars avait consacré ses dernières années à la composition, physiquement héroïque, de deux bouquins de jeune homme : l’extravagant récit « érotique » d’Emmène moi au bout du monde, suivi de Trop c’est trop. Le premier, curieusement, prenait l’exact contrepied de celui que Cendrars rêvait alors de consacrer à celle qu’il appelait la « Carissima », plus connue sous le nom de Marie-Madeleine, « sœur » du Christ. Or tout le paradoxe de Cendrars est là, que sa légende réduit parfois au personnage du bourlingueur extraverti, alors que c’était aussi un contemplatif et un grand spirituel à tourments et vertiges.
Mais Cendrars mort ? Pourquoi pas au Panthéon pendant qu'on y est ? Tout au contraire : Cendrars supervivant, jamais entré au purgatoire où tant d’auteurs sont relégués, Cendrars enflammant les cœurs et les esprits d’une génération après l’autre. Ainsi, après ceux qui ont défendu et illustré son œuvre de son vivant, tels un Pierre-Olivier Walzer ou un Hughes Richard, de nouveaux hérauts sont-ils apparus, tels Anne-Marie Jaton, dont une magnifique étude a fait date,et Claude Leroy, qui a conçu le volume paru ces jours dans la très référentielle collection Quarto, formidable « multipack » poétique et romanesque avec tout ce qu’il faut savoir sur le bonhomme et ses ouvrages.
De feu, de braise, de cendre et d’art
Revisiter Cendrars aujourd’hui, c’est en somme refaire le parcours du terrible XXe siècle, du Big Bazar de l’Exposition Universelle à la Grande Guerre où il perdra sa main droite (son extraordinaire récit de J’ai tuédevrait être lu par tout écolier de ce temps), ou des espoirs fous de la Révolution russe (que Freddie voit éclore à seize ans à Saint-Pétersbourg), ou des avant-garde artistiques auxquelles il participe à la fois comme poète, éditeur, acteur et metteur en scène de cinéma, reporter et romancier, à toutes les curiosités et tous les voyages brassés par le maelstom de son œuvre.
« J’ai le sens de la réalité, moi poète. J’ai agi. J’ai tué. Comme celui qui veut vivre ».
Aujourd’hui encore, un jeune lecteur qui découvre Vol à voile ne peut que rêver de s’embarquer, avant que Bourlinguer lui fasse découvrir que le voyage réduit au tourisme est un sous-produit, et que lire Moravagine nous fait sonder les abîmes de l’être humain, mélange de saint et de terroriste.
Cendrars au boulevard des allongés ? Foutaise : ouvrez n’importe lequel de ses livres et laissez vous emmener au bout du monde !
Blaise Cendrars. Partir. Poèmes, romans, nouvelles, mémoires. Sous la direction de Claude Leroy. Gallimard, coll. Quarto. En librairie le 26 janvier.
Mirim Cendrars. Cendrars, L'or d'un poète. Découvertes Gallimard, nouvelle édition.
Blaise Cendrars. Dan Yack, Folio; Le Lotissement du ciel, Folio.