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Du rester-partir au pleurer-rire

Publié le 22 janvier 2011 par Jlk


medium_Mangangu.jpgRETOUR AU CONGO Kinshasa. Carnets nomades. Le récit lyrique et panique de Bona Mangangu

Si les étonnants voyageurs dont les pages sur l’Afrique ont fait date (à nos yeux en tout cas) sont le plus souvent occidentaux, du Polonais Richard Kapuscinski à la Néerlandaise Lieve Joris, entre autres, le premier intérêt des Carnets nomades du peintre et écrivain Bona Mangangu tient à cela que c’est un fils du pays (né en 1961, en plein mouvement d’émancipation) qui évoque ce qu’est devenue sa ville natale de Kinshasa où il fait retour, une vingtaine d’années après l’avoir quittée. Désormais installé dans le Haut-Languedoc dont la nature lui rappelle parfois celle de son enfance, quand son père lui nommait chaque plante qu’il découvrait, l’artiste passionné de littérature et de musiques de partout, occidentalisé et pratiquant la langue française en poète et en homme de culture, revient pourtant chez lui « à hauteur d’enfance », avant d’affronter la déchirure de ses vingt ans.
Dès les premières pages, en flamboyante ouverture, avec un mélange de somptueux lyrisme accordé à la splendeur du crépuscule congolais et la conscience immédiate de ce que plombe aussi ce ciel, estimé « traître » par les humiliés et les offensés, Bona Mangangu marque une opposition violente qui va scander la suite poético-polémique de son parcours tenant à la fois de la quête d’identité et du reportage, de l’effusion « magnétique » et de l’amer constat dont un des thèmes récurrents est l’injustice faite aux enfants de la rue et au sous-prolétariat des quartiers-poubelles.
Rien pourtant ici de la déploration convenue ou de la dénonciation fondée sur des certitudes. Certes les «voleurs d’espoir » sont illico pointés, mais à la rage se mêle cette image candide : « Tout est encore présent dans mon esprit comme ce brusque chuchotis du ruisseau révélé par un saut de lapin traqué au lance-pierre ». Les profiteurs et les nouveaux riches, les bandits et les voyous sont là, les « sangsues politiques » ou les marchands de foi roulant en Mercedes, mais « la vie ici, malgré les souffrances insoutenables, est une œuvre d’art ». De l’école « gardienne » aux bonnes volontés éparses des ONG, des artisans-artistes réinventant la beauté avec des riens au vieux sage disparu dont la mémoire transmet encore les secrets du savoir-survivre, un courant d’espoir, aussi méandreux, lent et profond que le fleuve Congo, se laisse percevoir dans ces pages généreuses et tourmentées, où l’amour et la lucidité, le passé retrouvé et l’acceptation de ce qu’on est fondent une plus juste lecture de la réalité, préludant à de nouvelles solidarités.
Bona Mangangu. Kinshasa. Carnets nomades. L’Harmattan, 136p.

Cet article a paru dans l'édition de 24 Heures du 27 juin 2006.


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