Grand-père costard

Publié le 23 janvier 2011 par Masterpitch

Mon grand père était quelqu’un de fin. Toujours en costard et en pompes cirées. C’était quelqu’un de la Haute. Très bon chic, très bon genre. Il avait cette sorte de classe naturelle qui font se retourner les bourgeoises.Son air sévère lui conférait une dignité grave et sereine. Ses traits, ni rond, ni anguleux, faisaient penser aux plis souples de ses costumes. Et ses cheveux gominés se reflétaient dans des chaussures arrangées au mieux. Le col serré par une cravate, les lacets noués par deux fois, mon grand père se tenait droit, toujours très droit.

Il avait toujours paru aussi beau. Même durant les pires moments. Rattaché à un des derniers bataillons véhiculés, il s’était fait prendre par les Allemands. La légende veut qu’il aurait mangé sa ceinture de cuir pour survivre et se serait échappé au moins quatre fois des geôles. Et là encore, impossible de l’imaginer sans son complet. Je le vois très bien d’ici, contre un muret, les bras le long du corps, attendant la salve fatidique. Je suis persuadé qu’il était déjà en tenue de deuil quand les balles sont venus le cueillir.

À cette triste histoire, on aime en raconter une seconde dans la famille. Vêtu de sombre de la tête au pied, mon cher grand père avait refusé d’enlever ses chaussures à la plage. Ce sont donc deux beaux morceaux de cuir noir qui se sont enfoncés dans le sable blanc. Imaginez cet homme, tenant sa fille dans les bras, ce petit bout de chair rose. Planté dans le sol granulé, les yeux rivés vers la mer, mon grand père rêvait peut être de ce monde où une future génération pourrait enfin marcher libre, les pieds nus, le regard vers le soleil et le torse bombé.

GG