Une journée d’études organisée par la faculté de droit d’Aix-en-Provence a pointé les exigences et les garanties formulées par le droit à l’égard de l’enseignement catholique
AIX-EN-PROVENCE La Croix, 22 mars 2006
De notre envoyée spéciale
Un sérail de juristes aus cultant le droit relatif à l’enseignement privé. En présence d’un invité remarqué, Mgr Jean-Pierre Cattenoz, archevêque d’Avignon, les enseignants de la faculté de droit et de science politique d’Aix-en-Provence se sont efforcés de préciser l’état du cadre juridique de l’enseignement privé sous contrat. Cette journée d’étude, lancée par deux chercheurs suite à la polémique née des propos de Mgr Cattenoz sur l’enseignement catholique (lire La Croix du 28 septembre 2006) , s’est présentée comme une réponse juridique à la dénonciation par cet évêque d’une perte du « caractère propre » et d’une dilution de l’identité religieuse des établissements catholiques de son diocèse.
En préambule, Blandine ChéliniPont a rappelé que l’Église catholique n’avait jamais abandonné la question de la préservation de l’identité religieuse de ses établissements. «Depuis la loi Debré de 1959, il est possible d’affirmer que la concertation doctrinale sur le sens de l’école catholique n’a jamais failli en France», a-t-elle souligné. Mais la chercheuse a précisé que le «caractère propre», garanti à l’enseignement privé par l’article Ier de la loi Debré de 1959, se trouvait limité d’une part par le respect de la liberté de conscience de chacun (enseignants, parents, élèves), d’autre part par l’insertion de l’enseignement catholique dans la mission de « service public » d’enseignement. Deux principes que l’Église catholique a d’autant mieux acceptés qu’ils n’entraient pas en contradiction avec sa propre vision de l’éducation. Ainsi Mgr Pierre Eyt déclarait-il, lors des premières assises de l’enseignement catholique en 1993 : « Un enseignement catholique qui ne respecterait pas la liberté de conscience ou qui refuserait d’accueillir des élèves pour motif d’opinions philosophiques ou religieuses, perdrait son caractère propre au regard des exigences les plus solennelles de l’Église. »
Le respect de la liberté de conscience implique que «les élèves ne sont pas obligés de suivre les heures de catéchisme, ne sont pas tenus d’être catholiques et que les enseignants ne sont pas obligés de participer au projet éducatif de l’établissement au sortir de l’enseignement de leur propre matière », a précisé Blandine Chélini-Pont.
Pierre Langeron, maître de conférences à l’IEP d’Aix-en-Provence, a précisé les origines du cadre juridique actuel : le rapprochement de l’enseignement catholique et de l’État, renforcé par les accords Lang-Cloupet de 1992 et la loi Censi de 2005, avait été souhaité par l’Église catholique. « C’est l’enseignement catholique qui, pour d’évidentes raisons d’ouverture au plus grand nombre et de viabilité économique, demanda sans cesse l’aide croissante de l’État », a-t-il rappelé. En conséquence, les espaces de liberté de l’enseignement catholique ont été
« réduits de manière importante et volontaire. »
En contrepartie de la formation de maîtres, de leur rémunération et de leur alignement sur le statut des agents du service public, les établissements ont accepté des contraintes en termes d’horaires, de programmes et de nondiscrimination religieuse dans le recrutement des maîtres et des élèves. Les chercheurs présents au colloque ne semblaient toutefois pas complètement d’accord entre eux sur le point de savoir si les établissements catholiques pouvaient être considérés comme « entreprise de tendance », une qualification reconnue dans le droit français qui autorise la prise en compte de convictions personnelles dans le recrutement du personnel.
L’équilibre juridique d’aujourd’hui offre toutefois de larges espaces de liberté à l’enseignement catholique, ont insisté les universitaires. C’est au chef d’établissement, « véritable maître d’œuvre du projet éducatif fondé sur l’identité religieuse », qu’il revient de faire vivre le projet éducatif portant l’identité religieuse.
« L’État a toujours tenu compte de cette situation en n’interférant pas dans la nomination ou le renvoi des chefs d’établissement par l’autorité diocésaine de l’enseignement catholique », a fait remarquer Julien Couard. Ce doctorant a pointé les lieux où le caractère propre peut s’exprimer : le chef d’établissement est libre de prévoir des variations d’emploi du temps en fonction du calendrier liturgique ou de la vie pastorale de l’établissement et, s’il est tenu de respecter les programmes, il peut avoir recours a des intervenants extérieurs pour développer tel ou tel point spécifique. Surtout, la marge de manœuvre du chef d’établissement est très importante pour ce qui touche aux activités se déroulant en dehors des enseignements . « Le chef d’établissement doit ici trouver l’occasion d’exprimer tout ce qui fait ce caractère propre de l’établissement, c’est-à-dire toute son identité religieuse. »
Des pistes juridiques ont également été évoquées pour faire mieux respecter l’identité religieuse des établissements. Certains enseignants ont avancé l’idée que le droit privé et le droit des contrats pourraient permettre à l’enseignement catholique de mieux faire prévaloir son « caractère propre ». La stratégie juridique serait alors de dépasser la seule question de la liberté de conscience – qui limite la mise en œuvre du caractère propre –, en mettant en avant le contrat volontairement passé entre les parents ou les enseignants d’une part, l’établissement privé d’autre part. La question demeure toutefois de savoir si l’enjeu vaut l’éventuelle bataille juridique sur un dossier scolaire que chacun sait hautement sensible, tant à l’intérieur de la sphère catholique que dans les relations avec l’État.