Laissez-moi vous parler des unes du Journal de Montréal. D’étonnantes compositions qui ajoutent, chaque matin, une pincée de baroque à nos «deux œufs, bacon».
On dit que les journaux fabriquent les conversations du peuple. Et c’est plus vrai que jamais lorsqu’il s’agit Journal de Montréal.
Il y a ces assemblées de cantines où l’on discute de ce qui saigne, de ce qui scandalise, de ce qui score dans les pages du journal de la rue Frontenac. Et puis, selon Influence communication, lorsqu’un média électronique cite un quotidien, dans 27 % des cas, il cite le Journal de Montréal.
C’est grâce au JdeM si l’on parle des 132 km/h de la limousine de la ministre des Transports, des toilettes du Bateau-Mouche qui sont déversées dans le fleuve ou de Latendresse qui fait le 1er trio.
Tous des sujets qu’on a jugés dignes de faire la une du plus grand quotidien montréalais.
Un certain nombre de principes dictent les unes du JdeM. Le sujet doit d’abord être populaire, axé sur les préoccupations des «gens ordinaires». Personne ne s’en cache, pas même le directeur de l’information du quotidien, George Kalogerakis. Le week-end dernier, au congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, celui-ci s’exprimait en ces termes: «On veut être les chiens de garde du citoyen, du payeur de taxes qui se demande où va son argent.» Le JdeM est un journal de proximité. «Une dizaine de fronts par année viennent de l’appel d’un lecteur», de poursuivre M. Kalogerakis.
En somme, il en faudra des morts pour qu’un sujet à saveur internationale atterrisse à la une du Journal.
La une du Journal de Montréal doit aussi être sensationnelle. Et parfois même, sensationnaliste. Une qualité, d’ailleurs, relevée à plus d’une reprise. Par le Conseil de presse, par exemple, qui a jugé que le titre «59 % des Québécois se disent racistes», publié en une le 15 janvier dernier, était tout à fait «sensationnaliste».
C’est cette soif du sensationnel qui justifie l’usage fréquent, en une, de termes tels que «scandale», «drame», «panique», «horreur», «crise». Au plan typographique, on aura aussi recours aux majuscules afin d’insister sur certains mots-clés. PÉDOPHILE. Un MANIAQUE. Il TUE et se SUICIDE. Les «enquêtes» du Journal, de plus en plus fréquentes, doivent aussi être sensationnelles, susciter la colère, la peur ou l’indignation populaire.
Remarquez, les unes du Journal sont sensationnelles pour une bonne raison. C’est que le Journal de Montréal vend la moitié de ses exemplaires en kiosque. C’est un détail important. La une doit pousser le citoyen à investir 0,66 $ plus taxes dans cette publication. À côté, La Presse n’a pas la même obsession pour les unes accrocheuses, puisque 80 % des exemplaires vendus sont livrés aux abonnés.
Chaque jour, le JdeM hisse donc en une le sujet qui lui paraîtra le plus «vendeur», le plus spectaculaire, le plus populaire. Par conséquent, le quotidien de l’empire Quebecor voit le monde à travers un prisme déformant.
«L’histoire du Journal de Montréal, au fond, c’est notre histoire», dit-on. Permettez-moi d’y ajouter un bémol.
Dans 1000 ans, si des archéologues déterrent de vieilles éditions du Journal de Montréal et tentent de lire le Québec à travers celles-ci, ils risquent d’en tirer d’étranges conclusions.
Ils risquent de conclure que le Québec était une province centrée sur elle-même, fourmillante de politiciens corrompus et de criminels ignobles. Ils imagineront une province dangereuse, qui ne trouve le réconfort que dans les succès de Céline Dion et les victoires du Canadien...
© Steve Proulx 2007 | Texte original paru dans l'hebdomadaire Voir, 28 novembre 2007