Magazine Journal intime

Les Sept Péchés Capitaux : La Colère Divine De Jeanine.

Publié le 22 janvier 2008 par Mélina Loupia
Aujourd'hui, nul n'est censé ignorer combien le métier de la presse est dangereux. Bien des femmes et des hommes risquent ou ont donné leurs vies pour un petit papier. Depuis plus d'un an ou deux maintenant, je fais partie de ces dévoués, courageux et j'aime qu'on dise de moi que je fais montre d'abnégation et de tout un tas de qualificatifs nouveaux mais fort agréables, dont je me précipite d'aller apprendre la définition en rentrant chez moi. C'est que je me dois d'être irréprochable question savoir auprès de mon trio qui ne manquera pas de me demander ce que signifie sacerdoce. Et justement, mercredi dernier, jour des enfants, j'ai abandonné les miens au profit d'un reportage papier non loin de ce que Cariolette est encore en mesure de me rapprocher. Il s'agissait d'aller couvrir un évènement que l'on a coutume d'appeler dans le jargon journalistique de marronnier. Un sujet récurrent, chronologique. Celui-ci était annuel car il était question de vœux municipaux. J'avais été conviée à assister et relayer la cérémonie une semaine auparavant. J'arrive on ne peut plus à l'heure, soit dix-huit heures, comme conseillé sur le carton d'invitation électronique. Dans mon sac, mon arme à figer les sourires forcés et mon petit cahier brodé au papier épais et jauni. Tout au fond, un bataillon dérangé de stylos dont un serait tiré au sort tout à fait arbitrairement au moment voulu, sans préavis ni tour de chauffe sur la semelle d'une de mes baskets. La foule n'est pas encore dense et le brouhaha tarde à arriver. Le premier Magistrat au féminin me tend ses yeux et son sourire et ouvre le bal des bisous de bonne année, que je m'empresse de faire à tout le monde tant qu'il n'y en a pas tant. Alors que j'allais déjà passer dans le froid pour en griller une avec les copines "avant que ça commence", je croise le Président du Conseil Général d'ici qui porte son ventre comme garde du corps avant de se mettre tout entier de profil et me laisser passer. Je papote jusqu'au filtre et emboite le pas de la grenouille de bénitier la plus célèbre, ancienne et dévouée du canton. Elle s'appelle Jeanine, et a dû inventer la douceur en ce monde tant tout ce qu'elle regarde, touche ou invite à la parole se transforme en coton qui sent la vanille. Tout ce qui concerne la bondieuserie la concerne, mais la respectueuse célibataire aux cheveux naturellement crantés et aux couronnes argentées se fait aussi discrète que la sexualité des anges. Nos regards se croisent, suivis de nos sourires et je m'avance vers elle, les bras tendus, prête à m'abandonner dans son eau de Cologne. "Ah tiens, la presse se déplace! -Bonsoir Jeanine, et meilleurs vœux, ah oui, la presse, elle est toujours là quand il faut! -Ah oui? Et la presse, pour la messe de minuit à Noël, on a dû s'en passer pourtant. -La messe de minuit? -Oui, à dix-sept heures trente. -Quand? -Pardi, le vingt-quatre! -Et où? -Chez toi nigaude, pour une fois depuis vingt ans qu'on a la messe de minuit dans le coin, la presse est pas fichue de venir, au moins pour la photo. -C'est à dire que retranscrire la messe dans son intégralité aurait certainement été coupé, voire censuré dans la presse, voyez, Jeanine. -N'empêche, la presse, elle était pas là. -C'est à dire que je n'étais pas au courant, que je ne suis pas au jus de tout ce qu'il se passe. -Et bien il fallait. -Et en plus, j'avais moi aussi mon Noël à préparer, vous voyez, un mari, des enfants, de la famille à nourrir. -Oh allez, pour venir faire une toute petite photo quand-même. -Mais vous le savez Jeanine, il faut pas hésiter, quand ça m'arrive de pas être sur place, les gens me portent les photos ou les comptes-rendus, regardez Régine, pour le club du troisième âge, elle le fait souvent, elle comprend, ELLE, que j'ai d'autres occupations -Je vois, ah, et bien en tous cas, Régine, famille ou pas, la presse, je la félicite pas. -Bonne année à vous aussi Jeanine." On ne peut pas dire que l'assouplissant se soit manifesté durant la conversation, le roulage des r allant en s'intensifiant témoignait même de l'aspect finalement revêche de la personne m'accusant d'avoir commis un des sept péchés capitaux et de préférer me fourvoyer aux voeux municipaux. Je sors à nouveau, l'air frais me fera un bien fou tant le diable a chauffé la salle et rejoins le clan des mécréants fumeurs. "Putain, je viens de me faire allumer par Jeanine." La première dame du village était là également, bien que n'ayant probablement jamais aspiré un milligramme de goudrons ou agents de texture et de saveur de toute sa vie, elle semblait elle aussi avoir besoin de confesser quelque chose, avant de prononcer son discours traditionnel et renouveler sa candidature, malgré tout. "Ah, ébé moi, c'est pour une poubelle dont personne ne se sert jamais, que je viens de me faire allumer, alors tu vois, on a pas des métiers faciles. -Je dirais même plus, que ce soient mes lecteurs ou vos administrés, nous exerçons un véritable sacerdoce. -Tiens, tu pourrais le mettre dans ton papier ça, en titre." Le discours, la petite photo, le petit jus d'orange bien acide et le bisou à une ancienne collègue de caisse plus tard, je me retrouve à table, entourée des miens. "Alors comme ça, la Jeanine, elle t'a fait une scène? -Presque la cène même. -Pourquoi maman? Elle était jalouse Jeanine? -Oui, un peu, elle a mal supporté que je préfère l'Etat à l'Eglise. -Mais votre pauvre mère n'est pas Dieu, elle peut pas être partout. -En tous les cas, j'aurais aimé être Dieu, pour pouvoir punir Jeanine. -Pourquoi? -Parce que la colère est un péché. -C'est quoi un péché? -C'est l'arbre qui fait les pêches, mange tes nouilles."

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