J’ai laissé comprendre l’autre jour que je me rendrais à un enterrement. Plus on avance en âge et plus les réunions de famille se font autour d’un cercueil. C’est à la famille de l’enfance que je pense, à ce qu’il en reste. Mes grands-parents ne sont plus là, mes oncles et tantes sont de moins en moins nombreux, mes cousins sont éparpillés et les occasions de rencontre se font rares puisque ce qui nous réunissait, ces grands-parents en commun, n’existe plus que dans le souvenir.
C’est sans doute le lot de bien des familles. Autrefois, on passait sa vie dans le village, la ville où l’on était né. De nos jours, même les fratries sont éparpillées de par le monde. Alors, il faut vraiment une occasion pour se retrouver. Des naissances ? Ce seraient celles de petits-enfants de cousins dont les enfants sont déjà presque des étrangers. Il reste les décès. Et encore, seuls ceux qui ne vivent pas trop loin, seuls ceux dont le lien de parenté avec le défunt, ou plutôt avec ceux qui restent, est proche viennent.
Les enterrements sont l’occasion de retrouvailles imprévues. Une tante restée sans nouvelles, et qui n’a pas eu de raison d’en donner depuis plusieurs années, dont il faut bien constater qu’elle a largement dépassé les quatre-vingts ans. Les quelques cousins qui ont fait le déplacement. Certains ont eux-mêmes des petits enfants, et sont le centre d’un monde semblable à celui où eux et nous étions la nouvelle génération objet de toutes les attentions. Nous étions si proches, l’âge adulte nous a éloigné les uns des autres. Enfants, nous nous voyions chaque semaine ou presque, ensuite ce ne fut plus qu’aux vacances, et puis pour les fêtes. Ce n’est plus qu’aux enterrements.
Bien sûr, la nostalgie de l’enfance, de l’insouciance, vient se rappeler au souvenir. Nos vies étaient semblables, les plus « grands » apprenaient aux autres ce qu’ils allaient de toute manière vitre découvrir. Nous ne fréquentions pas les mêmes écoles mais elles se ressemblaient beaucoup. Et puis, nous avons pris des chemins différents, certains ont fait des études, d’autres pas, certains ont changé de ville, de région, de pays parfois, d’autres pas. Nous étions si proches et si semblables, qu’en reste-t-il ? Si peu… Quelques ressemblances où nous retrouvons les traits de nos grands-parents. Il est vrai qu’ils étaient à peine plus âgés que nous ne le sommes aujourd’hui quand ils ont gravé à jamais leur image dans nos souvenirs.
Sans nous en rendre compte, sans qu’aucune brouille ne vienne y pousser, nous nous sommes oubliés. J’appartiens à une génération où même le téléphone n’allait pas de soi. On ne téléphonait pas aux cousins, encore moins aux oncles et tantes. Nous aurions pu nous écrire bien sûr… Qui l’a fait ? Peu à peu, nous n’avons plus su ce que les autres étaient devenus. Même si parfois un hasard plus ou moins organisé fait que nos chemins se croisent, ce qui nous réunissait vraiment n’est plus. Aurions nous pu malgré tout conserver les attaches de nos racines ? Je me dis qu’aujourd’hui, entre les emails et Facebook, les apparences du lien sont préservées. Mais qui sait ce qu’il en adviendra au bout de vingt ou trente ans ? Quand chacun aura pris son chemin.
Ah tout était tellement plus simple quand on naissait, vivait et mourait au même endroit. On ne se quittait jamais, on ne pouvait s’oublier puisqu’on se croisait chaque jour. A vrai dire, on ne s’oublie pas non plus aujourd’hui mais on ne voit souvent que ce qui est proche, agréable ou insupportable mais placé en évidence devant soi. Alors cette famille de l’enfance est submergée. Elle reste, elle est cachée. Elle ne ressurgit plus qu’aux enterrements, pour un instant. Quelle connerie.
Ailleurs, sur d’autres continents, les familles ont encore un sens. Peut-être, comme l’a dit un imbécile, parce qu’ils ne sont pas entrés suffisamment dans l’Histoire. Que Dieu, si jamais il existe, les en préserve.