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Le mercredi 30 mars à huit heures trente, je fus pris de violentes convulsions. Mon corps trembla de tous ses membres et j'aperçus le plafond vert bouteille de ma chambre. Ma mère se trouvait près de moi et discutait avec une infirmière de mon état profondément silencieux depuis quelques jours. Cela peut paraître stupide, mais même si elle croyait profondément en Dieu, elle n’acceptait toujours pas ce rapt soudain que le ciel avait organisé. Qu’on lui prenne son fils, oui ! Ça, elle se doutait bien que cela arriverait un jour, mais sa seule condition était : lorsque je serai décedée et enterrée au cimetière du Père-Lachaise et que l’on aura répandu les cendres de mon mari sur les chrysanthèmes ornant mon marbre, alors, mon fils pourra partir lui aussi. (oui, ça peut paraître étrange, mais elle a toujours voulu partir après mon père qui n’avait rien demandé à personne, au passage, et qui ne désirait pas non plus de crémation)
Ce signe fort, volontaire et distinct destiné à l'assemblée infidèle du corps médical de la ville de Bligny fut lancé pour qu’ils puissent se souvenir que - lorsque l’on a un jardin à légumes il faut de temps en temps l’arroser, car s’il n’y eut pas mon guide près de moi pour m’encourager à envoyer ce SOS, je serais descendu de cheval comme on dit et abandonné l’idée quelconque d’un retour sur terre. Je pense qu’au bout de quelques mois, Mélanie et ma mère auraient fini par se lasser de fixer mes yeux clos et les infirmiers se seraient fait un plaisir de me balancer dans la fosse aux vivent les taupes et autres bestioles hypogées ; mon guide m’a donc poussé à défier l'irréversibilité de cette mort cérébrale par un ultime retour brusque que l'on prendra quelques mois plus tard pour un miracle de Dieu. ( qui ne se trouva pas avec nous à ce moment-là, il faut bien l'avouer )
Voyant mes yeux grands ouverts pendant quelques secondes, l'infirmière accourut et se pencha au dessus de mon visage. Ma mère fit de même, alors je les fixai l'une après l'autre et replongeai soudainement dans un coma profond. Je n’avais pas beaucoup de temps en fait, car je devais repartir faire l'accueil d'un crash d'ULM du côté de Bâle, en Suisse. Mon guide me donna cette mission, car ces deux personnes, croyantes ma foi, ne subiraient pas le choc violent de ce fameux « passage » et devraient se diriger directement en direction de la grosse ampoule de 60 watts régnant au dessus de nous. Les premières missions que l’on nous confie sont souvent très basiques – accueil, conseils et recueils d’informations diverses afin de diriger du meilleur possible l’âme se trouvant sur le retour. Certains, (les croyants surtout) s’imaginent une vie éternelle et se disent en arrivant près de nous – Aaah ! c’est donc cette lumière que nous devons emprunter pour rester près de Dieu ! Oui, mais ne vous asseyez pas à sa droite, dis-je fréquemment en plaisantant, la place est sûrement prise…
Concernant ce crash d’ULM, il s’agissait de l’oncle et du neveu qui avait pour habitude de survoler la forêt noire tous les week-ends. Ce fut le dernier… et je volai en une pensée non pas à leur secours, mais pour leur indiquer qu’il venait de franchir le point de non-retour. L’oncle jeta un coup d’œil rapide en direction de cet objet ridicule en feu, puis me demanda :
- Vous êtes Saint « quoi » ?
- Saint… ( surpris ) Saint Evan, monsieur. Vous savez où vous vous trouvez.
- Oui, nous nous sommes rapprochés du Seigneur, il se retourne en direction de son neveu et lui dit – nous sommes morts, Marc… mon neveu adoré… je suis désolé. Je n’aurais jamais dû te laisser prendre le trapèze.
- Le quoi ? Demandai-je.
- Le trapèze…le triangle quoi...
- ? ! Le triangle ?
- Le volant ou guidon ! ! s’agace-t-il, me prenant d’un coup pour un esprit imparfait.
- Eh, Oh ! Ca va monsieur, je ne suis pas un expert en ULM ! Calmez-vous hein ! Ca suffit maintenant ! Je suis ici pour vous accueillir et vous montrer le chemin qui vous mènera directement à Dieu, pas pour une expertise gratuite ! Nan mais oh !
Se déliant définitivement de son périsprit il s’excusa de s’être emporté et m’expliqua s’en vouloir d’avoir emmené son neveu avec lui. - Marc n’avait pas à mourir maintenant ! jura-t-il en levant les yeux en direction de la grosse ampoule. Dix-huit ans ans, fac de lettres ! ( et encore puceau, lisai-je en cet adolescent ) vous vous rendez compte Seigneur ?
Il s’en rend compte ajoutai-je, mais le Seigneur comme vous dites ne passe pas ses week-ends à faire de l’ULM au dessus de forêts d’épicéas…lui.