- Votre père, le grand Luis Mendoza, avait 51 ans lorsque vous êtes née. N’avez-vous pas le sentiment d’avoir raté une partie de sa vie ?
- Vous savez, s’il y a bien deux personnes que l’on rate toujours dans sa vie, ce sont bien ses parents. Et ce, quel que soit l’âge, où ils nous ont.
- Pardon ?
- Oui, parce qu’il y a toujours ce paravent entre nous, ce jeu de rôle imposé dès le départ : toi mon père, moi ta fille. Je pense que l’on ne peut jamais connaître ses parents. Vous voyez, moi, on m’envie d’être la fille du grand Luis Mendoza. Moi, c’est l’inverse. J’envie tous ceux qui ne le sont pas. Logique, non ?
- Une autre manière de dire que vous avez définitivement réglé votre Œdipe ?
- Ecoutez, mon père est mon père. Tautologie, point à la ligne. Tout est dit et je ne peux pas aller plus loin. L’inceste est généralisé. C’est notre malédiction à tous : vous ne pouvez ni coucher avec vos parents ni les connaître… Jamais.
- Est-ce parce que votre père est mort que vous vous autorisez de tels propos ? Un tel regret ?
- Vous voudriez que je vous réponde que j’ai passé ma vie à chercher mon père, à savoir ce qu’il aimait, ce qu’il l’ennuyait, ce qu’il détestait… Oui, peut-être. Pour preuve, j’en ai même fait un livre ! Mais voilà ce que j’ai découvert au bout du compte : cette recherche est vaine.
- Que voulez-vous dire ?
- En temps normal, quand vos parents sont vivants, vous ne cherchez pas vraiment à savoir ce qu’ils sont, ce qu’ils ont été avant vous. Vous avez déjà bien assez à faire avec vous-même. Ca nous barbe, ça nous révulse, comme si ça pouvait mettre notre vie en cause. Un peu comme dans le film grandiose de Retour vers le futur. Quand le héros se fait draguer par sa mère, qu’il manque de prendre la place de son père, que lui arrive-t-il ? Il disparaît progressivement sur sa photo du présent. Je crois qu’il y a quelque chose tout simplement d’impossible pour ego : admettre que nos parents n’existent pas qu’à travers nous.
- Votre père a-t-il eu la chance de lire ce récit avant de mourir ?
- Oui, et il a trouvé ça nul. Je le prends comme un compliment. Dans la famille, nous avons l’habitude de toujours dire l’inverse de ce que nous pensons…