Lundi, mes mains ont été attirées par un livre de poche à la bibliothèque, je ne sais pas trop pourquoi, mais je suis loin de m'en plaindre. J'étais derrière toi, de Nicolas Fargues, est fort, dense, incisif, cru, et se dévore sans cuisson. La quatrième de couverture est inspirante:
"C'est dans la trentaine que la vie m'a sauté à la figure.J'ai alors cessé de me prendre pour le roi du monde et je suis devenu un adulte comme les autres, qui fait ce qu'il peut avec ce qu'il est. J'ai attendu la trentaine pour ne plus avoir à me demander à quoi cela pouvait bien ressembler, la souffrance et le souci, la trentaine pour me mettre, comme tout le monde, à la recherche du bonheur. Qu'est-ce qui s'est passé ? Je n'ai pas connu de guerre, ni la perte d'un proche, ni de maladie grave, rien. Rien qu'une banale histoire de séparation et de rencontre."
Et on dirait que le fait de le lire dans le bus, debout agrippée à un poteau ou assise confortablement sur les rangs du fond, lui donne encore plus de saveur. Je plonge, je penche la tête sur mon livre, je lis quelques phrases, quelques paragraphes, un passage me fait sourire tellement il tape dans le mille. Soudain je lève les yeux, je regarde autour de moi, la faune du bus dans toute sa splendeur, le regard dans le vide pour la plupart, perdus dans leurs pensées mais obligés le temps d'un voyage d'être collés à des inconnus qui trop souvent puent quand ils ne sentent pas le parfum cheap, ou prennent trop de place et vous mouillent avec leur parapluie dégoulinant. Bien vite je replonge et j'oublie la déprime ambiante. Même si mon voyage ne dure que 20 minutes, cette bulle change tout, et je descends le sourire aux lèvres. Pour un peu, je crierais "Thank you" au chauffeur depuis la porte du fond.
J'hésite à le lire ailleurs que dans le bus, je veux que mes souvenirs de lecture restent colorés par cette ambiance. Mais l'envie d'avancer est trop forte. Tiens, peut-être que j'irai faire une petite promenade en bus ce week-end, juste pour pouvoir le finir.
"J'essaye d'enregistrer le plus de détails possible, sachant d'ores et déjà que, plus tard, lorsque tout sera réduit à un puissant souvenir de mes sens, je m'en voudrai de ne pas y avoir goûté plus consciemment sur le moment. Mais c'est impossible d'y goûter consciemment, au bonheur. Sous ses dehors banals, avec ses parasites et ses imperfections, sans le filtre enjoliveur du souvenir, la réalité te prend toujours de vitesse. Sur le moment, c'est mathématique, tu peux juste vaguement ressentir qu'il se passe quelque chose de bien, mais tu es trop occupé à le vivre dans son temps même pour y goûter vraiment. Parce que tu as remarqué que le bonheur, c'est toujours un souvenir, jamais le moment présent, hein? (...) C'est ça, le temps perdu, le temps tout court, l'impossible équation du temps qui passe et qu'on voudrait retenir."